Robert Thirsk est allé dans l’espace pour la première fois en 1996. Il a d’abord étudié la médecine, mais alors qu’il faisait sa résidence dans un hôpital du Nouveau-Brunswick, il a vu une annonce dans un journal demandant des candidatures pour un nouveau programme d’astronautes que le Canada allait lancer. Il a présenté sa candidature immédiatement. Photo : Rémi Thériault
Au début des années 60, le jeune Robert Thirsk vit à Powell River, en Colombie-Britannique, ville alors réputée pour abriter la plus importante usine de pâtes et papier au monde. À l’époque, il ne prête pas attention au vaste cosmos qui s’étend au-dessus de la grisaille enfumée de la ville, ni au fait que des êtres humains en commencent l’exploration à bord des premières fusées spatiales.
Mais tout change en février 1962, jour où son institutrice apporte un poste radio dans la salle de classe de 3e année à l’école Grief Point Elementary, afin que ses élèves écoutent le reportage en direct du premier vol habité en orbite autour de la Terre, mené par l’astronaute américain John Glenn.
« Pour la première fois, j’entendais prononcer le mot “espace” et je découvrais le métier d’astronaute. Ce fut un moment décisif pour moi », se souvient-il.
Des années plus tard, il se dit encore reconnaissant du geste de cette institutrice, Shirley Cole, qui le lança sur un parcours menant à l’un des clubs les plus exclusifs sur terre. En juin 2020, l’ancien astronaute canadien compte parmi les 565 personnes de la planète, dont 10 Canadiens, qui sont allées dans l’espace, à deux reprises pour lui, la seconde en 2009, lors d’une mission de six mois à bord de la Station spatiale internationale, devenant ainsi le premier Canadien à y effectuer un séjour de longue durée.
Retraité fédéral depuis 2014 et membre de l'Association nationale des retraités fédéraux depuis 2019, M. Thirsk se consacre désormais à la promotion de l’exploration spatiale et à la démocratisation des voyages dans l’espace, préconisant l’innovation technologique, les études de haut niveau et la recherche de l’excellence dans tous les domaines de l’activité humaine.
« Nous devons aborder l’espace comme des pionniers sondant de nouvelles frontières », affirme-t-il. « Pour cela, nous devons continuer à apprendre et à investir dans des projets comme des fusées sans propulsion chimique, afin de diminuer les coûts et commencer à envoyer des milliers de gens dans l’espace, chaque année. »
Que ce soit au moyen de son site Web, de ses billets de blogue ou de ses allocutions, dont la conférence TED intitulée « How spaceflight changed my perspectives on our planet and our humanity » (Comment le vol spatial a transformé ma façon de voir notre planète et notre humanité), qu’il a prononcée à Calgary en 2017, il n’hésite pas à partager son savoir sur divers sujets, évoquant aisément les dures réalités de la vie dans l’espace et ses effets perturbants sur la conscience, les défis liés aux voyages dans l’espace ou, encore, la détermination et la persévérance nécessaires pour réaliser ses ambitions.
« J’ai eu le privilège de travailler au sein d’organismes visionnaires qui ne reculaient pas face au risque, et auprès de collègues qui m’ont amené à me dépasser pour atteindre les plus hauts sommets inimaginables », confie M. Thirsk. « Désormais, mon objectif consiste à passer le flambeau et à transmettre les leçons que j’ai apprises, dans l’espoir qu’elles inciteront d’autres que moi à rêver grand et à atteindre leur but. »
Aujourd’hui, il vit à Ottawa et tient un discours sobre mais optimiste, qui fait réfléchir sur la nécessité d’un engagement personnel et d’une action collective pour relever les défis scientifiques liés aux voyages vers Mars et plus loin encore, et pour trouver des solutions à des problèmes comme les changements climatiques qui menacent la vie sur Terre.
« Je dis aux gens de miser sur leurs rêves, de faire des sacrifices et de s’appuyer sur une solide formation universitaire », prône M. Thirsk, qui collabore toujours avec l’Agence spatiale canadienne. Récemment, il présidait le groupe d’experts sur les rôles possibles que pourrait jouer le Canada en matière de santé et d’activités biomédicales pour les vols habités dans l’espace lointain. Il conseille aussi aux jeunes de sortir de leur zone de confort : « élargissez vos horizons, sur le plan mental, émotionnel et même spirituel ».
Âgé de 66 ans, il codirige présentement une équipe de recherche composée d’anciens étudiants de l’Université internationale de l’espace qui se penchent sur les effets du vol spatial sur la neuroperception. Il siège également au conseil d’administration de LIFT Philanthropy Partners, à Vancouver.
Dans l’espace, le travail d’équipe est la clé du succès. Voici les membres de l’équipage du vol de la navette STS-78, une mission de recherches médicales et industrielles menées en 1996. Robert Thirsk est en bas, à droite.
Des leçons dès l’enfance
C’est en bas âge que Robert Thirsk, second d’une famille de trois enfants, reçoit ses premières leçons de vie. Ses parents — son père Lester travaille chez Marshall-Wells, une entreprise propriétaire d’une chaîne de quincailleries, et sa mère Eva est secrétaire — encouragent leurs enfants à pratiquer des sports, à travailler fort et à participer à des activités scolaires et communautaires.
« J’étais toujours en mouvement, avec peu de temps mort », se souvient-il, pratiquant alors le hockey, la natation, le squash et la lutte (dont il deviendra champion provincial), au niveau compétitif. « À l’école, j’avais de bons résultats dans toutes les matières, mais surtout en sciences et en mathématique. »
Il remercie ses parents de lui avoir inculqué la confiance et les aptitudes nécessaires pour réussir dans la vie.
« Notre père était un rêveur et un visionnaire qui nous a toujours encouragés à poursuivre nos rêves. Notre mère, quant à elle, était une femme pragmatique et très bien organisée. Ils se complétaient parfaitement. »
À la fin de sa classe de 4e année, la famille Thirsk déménage à Calgary. C’est là, à la fin de décembre 1968, que ressurgit son intérêt pour l’espace. Au centre commercial Chinook Centre, le jeune Robert regarde la diffusion de la mission Apollo 8, dont l’astronef habité sera le premier à quitter l’orbite de la Terre pour se rendre à la Lune et en revenir.
« C’était la veille de Noël, je devais magasiner, mais j’ai passé la soirée au rayon des téléviseurs chez Simpson Sears. Ce soir-là, j’ai compris que je voulais devenir astronaute », dit-il.
Un souhait qui se confirmera lorsqu’il regarde les astronautes américains Neil Armstrong et Buzz Aldrin marcher sur la Lune. « Même s’il s’agissait d’astronautes américains et de cosmonautes russes à l’époque, j’espérais qu’un jour des Canadiens auraient aussi cette chance », ajoute-t-il.
Après un autre déménagement de la famille, à Winnipeg cette fois où il termine ses études secondaires, il revient en Alberta où il obtient un baccalauréat ès sciences en génie mécanique de l’Université de Calgary. Il obtiendra ensuite une maîtrise ès sciences en génie mécanique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), puis un doctorat en médecine de l’Université McGill en 1982.
« Mes formations en génie et en médecine m’ont permis d’acquérir des compétences connexes au programme spatial », précise-t-il. « Elles m’ont permis de trouver des solutions techniques à des problèmes médicaux survenant en état d’apesanteur, notamment le déconditionnement cardiovasculaire et l’atrophie
musculosquelettique. »
Des tournants décisifs
Au cours de ses études de médecine, il fait la connaissance de Brenda Biasutti, qui travaille à la clinique d’orthopédie de l’Hôpital général de Montréal. Leur mariage aura lieu à la chapelle de l’Université McGill.
Au début de l’année 1983, alors qu’il est résident en médecine familiale à l’Hôpital St. Joseph à Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, un journal publie un appel de candidatures au tout nouveau programme spatial du Canada. L’initiative avait été mise sur pied après que la NASA ait offert d’avoir des astronautes canadiens à bord des navettes spatiales lors de futures missions. L’annonce change sa vie.
« Le lendemain, j’avais posé ma candidature. »
Six mois plus tard, en compagnie de cinq autres Canadiens — Marc Garneau, Roberta Bondar, Steve MacLean, Bjarni Tryggvason et Ken Money —, il est sélectionné. Ensemble, ils forment le premier corps des astronautes canadiens au pays. (Depuis 1983, le Canada n’a recruté que 14 astronautes, et neuf d’entre eux ont participé à 17 missions dans l’espace.)
Les nouveaux astronautes entament leur formation en février 1984, au tout nouveau Johnson Space Centre à Houston, au Texas. M. Thirsk est désigné spécialiste de charge utile de relève de Marc Garneau pour une mission spatiale qui se déroule en octobre de la même année. M. Garneau sera le premier astronaute canadien à aller dans l’espace.
« Notre formation était identique : nous savions que si j’étais malade, ce serait Bob qui irait », de se rappeler Marc Garneau, aujourd’hui ministre fédéral des Transports. « Évidemment, ce fut certainement décevant pour lui lorsque je me suis envolé, le laissant derrière. Je me souviens lui avoir dit que c’était un peu comme aller au cinéma voir un film dont tout le monde parle, mais devoir quitter la salle juste avant la fin. La réaction affable de Bob est ce qui m’avait le plus frappé. C’est un homme profondément modeste, qui pense toujours à autrui. »
M. Garneau affirme aussi que Robert Thirsk l’a beaucoup aidé à composer avec les rigueurs de l’entraînement. « Cela nous a beaucoup rapprochés. »
Au cours des 13 années suivantes, M. Thirsk continue son entraînement, notamment à titre de commandant d’équipage de deux simulations de missions spatiales.
À la même période, son épouse et lui déménagent à Houston et s’installent dans le quartier Clear Lake, très prisé des astronautes et situé à proximité du Johnson Space Center. Ils y élèveront leurs trois enfants — Lisane, Elliot et Aidan — et s’investiront beaucoup dans leurs activités, M. Thirsk devenant même entraîneur de l’équipe de hockey de l’école secondaire.
Photo Nasa
Trois, deux, un… départ!
En 1996, M. Thirsk a finalement sa chance, lorsqu’il s’envole à bord de la navette spatiale Columbia, en tant que spécialiste de charge utile avec six autres membres d’équipage dans le cadre de la mission STS-78. Au cours de cette mission de 17 jours, il mènera 43 expériences liées à l’étude des sciences de la vie.
Ce n’est que 20 minutes après le décollage de la navette Columbia, propulsée par une poussée de sept millions de livres, qu’il lève enfin les yeux vers le hublot. « J’étais beaucoup trop affairé à mes tâches et occupé à seconder mes collègues, mais lorsque j’ai finalement aperçu la courbure de la Terre et le bleu unique des océans, j’ai ressenti un immense frisson. Je me souviens avoir pensé : “Bob, tu as réussi, tu vis ton rêve. Tu es la personne la plus chanceuse hors de la planète!”. »
Il lui faudra attendre 13 autres années avant de retourner dans l’espace, à partir du Kazakhstan cette fois, à bord d’une fusée russe Soyouz en direction de la Station spatiale internationale (SSI) où il séjournera pendant six mois, en compagnie de cinq collègues internationaux.
Au cours de cette mission de 188 jours, l’équipage mène des travaux de recherche multidisciplinaire et des opérations robotiques complexes, et accomplit des tâches d’entretien et de réparation des systèmes et charges utiles de la station.
« L’environnement singulier d’un vol spatial — la pression à vide, les températures extrêmes, l’apesanteur — ne nuit pas à la capacité humaine à explorer et travailler », affirme-t-il. « Nous nous adaptons rapidement. Lors de mes propres missions dans l’espace, j’ai rapidement appris à me déplacer avec aisance à bord de la navette, comme Superman. Après quelques jours dans l’espace, j’avais l’impression d’y être né. »
Julie Payette et Robert Thirsk à bord de l'ISS. Photo: NASA.
Pendant ses heures de loisir, M. Thirsk avoue avoir ignoré l’impressionnante bibliothèque et l’abondante collection de films à bord de la navette, leur préférant l’image captivante de la boule bleue au loin. « Notre planète Terre est extraordinairement belle », dit-il. « Ses déserts se déclinent dans une myriade de coloris. Un orage est un phénomène prodigieusement puissant. De là-haut, les chaînes de montagnes, les volcans en éruption et les récifs qui bordent les océans sont majestueux et fascinants. » La mission de la Station spatiale international (SSI) est l'apogée des 30 ans de carrière de Robert Thirsk.
« L’ensemble des compétences acquises par les astronautes est phénoménal », souligne-t-il. « Vous travaillez avec les personnes les plus compétentes et utilisez la technologie la plus avancée qui soit. On vous pousse jusqu’à vos limites et votre rendement augmente, car vous travaillez auprès de personnes qui visent l’excellence. »
« Le travail d’équipe a été la pierre angulaire de toute ma carrière. Si vous décidez de relever des défis gigantesques, comme le vol spatial, vous devez faire appel aux personnes les plus talentueuses, celles qui possèdent les meilleures compétences et qui sont aptes à communiquer ouvertement, à faire prevue de diplomatie, à assumer la responsabilité de leurs erreurs et à partager les honneurs de leurs réalisations », ajoute-t-il.
Pour le Belge Frank de Winne, premier commandant européen de la mission SSI où il a cohabité avec Robert Thirsk pendant six mois, son collègue canadien incarne ces qualités. L’ancien pilote, qui dirige maintenant le
Centre européen des astronautes à Cologne, en Allemagne, explique que des problems surviennent à bord de la station, car l’équipage vit et travaille dans un espace restreint.
« Bob était l’ingénieur et le médecin, et aussi un vrai gentleman, un Canadien typiquement attentionné, qui mûrissait ses réflexions. Lorsque nous avions une difficulté, je le consultais et lui demandais son avis sur la meilleure façon de progresser. Il m’a beaucoup appris », mentionne M. de Winne.
Une retraite active
Après avoir pris sa retraite en tant qu’astronaute et quitté l’Agence spatiale canadienne en 2012 — la même année où il reçoit l’Ordre de la Colombie-Britannique après que son ancienne enseignante, Shirley Cole, ait proposé sa candidature —,
Robert Thirsk se joint aux Instituts de recherche en santé du Canada à Ottawa, avant de cesser ses activités au sein du gouvernement fédéral. Par la suite, il sera chancelier de l’Université de Calgary pendant quatre ans, un rôle qui nécessitera des aller-retour entre Ottawa et Calgary, pour participer à des campagnes de financement, présider le sénat de l’Université et assister aux réunions du conseil.
Outre son travail de défenseur de l’exploration spatiale et de l’enseignement, M. Thirsk voyage avec son épouse. Ensemble, ils visitent leurs deux plus jeunes enfants, qui vivent et travaillent toujours à Houston, ou rendent visite à de vieux amis, notamment Bobby Orr. M. Thirsk a d’ailleurs apporté dans l’espace le chandail et la bague de la Coupe Stanley de 1972 appartenant à l’ancienne légende du hockey.
Pour garder la forme, il surveille son alimentation, sort marcher quatre fois par jour avec le berger australien de son fils, et s’entraîne à la maison, à raison de 90 minutes quotidiennement, alternant haltères et exerciseur elliptique.
« J’ai éliminé la malbouffe et je consomme moins de viande rouge. Je m’entraîne en fin d’après-midi, c’est comme ça que je termine ma journée. »
Pour jouir au maximum de la retraite et d’une bonne santé, selon lui, le secret est de rester actif. « Brûlez plus de calories que vous n’en consommez », recommande-t-il. « Cependant, ne vous limitez pas au conditionnement aérobique. Les muscles ont besoin d’un entraînement qui développe la force musculaire, sinon ils s’atrophient. Pratiquez des sports de loisir pour maintenir votre forme, votre équilibre et votre force. »
Pour faire face à l’isolement en ce temps de pandémie, M. Thirsk suggère d’aborder la situation comme s’il s’agissait d’une mission dans l’espace. « Il ne s’agit pas d’un sprint, mais d’un marathon », explique-t-il. « Assurez-vous d’avoir des réserves pour les semaines futures. Prenez soin de votre sommeil, de votre diète et de votre forme et limitez vos charges de travail pour qu’elles soient raisonnables. »
« Soyez à l’écoute de vos humeurs et modifiez votre comportement pour tenir compte des besoins de votre entourage, et rendre le cadre de vie agréable pour tous. »
Par ailleurs, il incite à la coopération : « Chaque membre d’équipage contribue à la qualité de vie du groupe. Faites votre part pour accomplir les tâches domestiques fastidieuses », poursuit-il.
S’il admet que la pandémie a bousculé nos routines, Robert Thirsk pense qu’il est souhaitable de normaliser notre quotidien, autant que possible. « Maintenez une structure de vie, ciblez un but et des objectifs et, dès le matin, dressez une liste des tâches quotidiennes à accomplir. »
« Voyez les possibilités de cette période d’isolement. Renouez avec vos lectures, faites le tri du courrier, téléphonez à vos amis. Commencez une activité que vous n’avez jamais faite. Écrivez un mot de remerciement aux travailleurs de première ligne pour leur exprimer votre gratitude. »
Il suggère de considérer le confinement comme l’entraînement des astronautes.
« Pendant cette éclosion, nous devenons tous des membres d’équipage de la navette Terre. Notre mission a pour but d’aplatir la courbe de l’infection, afin que les patients et les travailleurs de la santé partout dans le monde puissent avoir une chance de s’en tirer. »
Photo NASA