En plus de l’anxiété et du stress, d’autres facteurs peuvent perturber notre sommeil. Hélas, l’âge en est un.
Vous êtes à la retraite. Vous recevez une pension et vous avez probablement remboursé votre hypothèque. Alors, pourquoi ne dormez-vous pas chaque nuit d’un sommeil profond en vous réveillant plein d’entrain comme un chiot frétillant? La réponse est simple : vous n’êtes plus un chiot.
Selon Charles Samuels, directeur du Centre for Sleep and Human Performance (CSHP) à Calgary, nos habitudes de sommeil changent avec l’âge. Les bébés et les adolescents ont besoin de beaucoup de sommeil, les enfants moins. Les adultes, dont les aînés, ont besoin de sept à neuf heures de sommeil.
Ironie du sort, si nous avons plus de temps pour dormir à l’heure de la retraite, la « stabilité » de notre sommeil s’estompe avec l’âge et nous n’obtenons pas toujours le sommeil profond dont nous avons besoin. Les douleurs et les courbatures d’un corps vieillissant, les bruits qui nous éveillent plus facilement ou le besoin d’uriner plus souvent à cause de troubles de la vessie ou de la prostate contribuent à perturber le sommeil des aînés. Selon le Dr Samuels, le stress perturbe aussi notre sommeil, car « il stimule l’éveil physiologique et, quand c’est le cas, vous fragilisez la capacité naturelle du cerveau à se calmer et à s’endormir ».
Tous ces facteurs perturbateurs signifient que nous devons répartir nos heures de sommeil différemment, ajoute-t-il.
Pour aider à répartir les heures de sommeil et favoriser un sommeil plus sain, il recommande de faire la sieste.
« Plusieurs personnes s’en privent, affirmant que c’est "improductif" ou un signe de "paresse". Mais, si vous êtes à la retraite, vous avez mérité de faire la sieste. »
La pandémie a-t-elle saboté le sommeil?
Comme si nous, les aînés, n’avions pas déjà assez de soucis avec des troubles du sommeil, voilà que survient la pandémie.
Une vaste étude menée par l’Institut de recherche en santé mentale (IRSM) du Royal à Ottawa révèle l’importance des effets néfastes de la COVID-19 sur la santé mentale de la population en général, dont la hausse spectaculaire des cas de dépression et d’anxiété. L’étude révèle aussi les effets perturbateurs de la pandémie sur le sommeil ce qui, en soi, a une incidence sur la santé mentale.
Au début de la pandémie, Rébecca Robillard, qui dirige le laboratoire de recherche sur le sommeil au Royal, a mené un sondage en ligne auprès de 5 500 Canadiens âgés de 16 à 92 ans. Les résultats publiés indiquent que, lors de la première vague de la pandémie, un répondant sur deux disait avoir éprouvé des troubles du sommeil, confirmant ainsi une hausse importante du taux d’insomnie. Selon une étude publiée par Statistique Canada en 2018, c’est deux fois plus qu’en temps normal, car avant la pandémie, un Canadien sur quatre se disait insatisfait de la qualité de son sommeil.
Selon la Pre Robillard et les experts du sommeil, il faut cependant distinguer entre l’insomnie chronique et l’insomnie aiguë (ses recherches portent sur cette dernière).
Un traumatisme important, comme le décès d’un être cher, déclenche souvent une insomnie aiguë dont les effets peuvent se faire sentir pendant trois mois.
Quant à l’insomnie chronique, qu’elle soit le résultat d’un stress, d’une mauvaise hygiène du sommeil ou d’autre chose, elle se caractérise plutôt par une difficulté à s’endormir ou à rester endormi, et ce, trois fois par semaine pendant trois mois ou plus. Selon le CSHP, un Canadien sur dix en moyenne souffre d’insomnie chronique.
L’insomnie aiguë, qui semble plus fréquente chez les femmes, peut se transformer en insomnie chronique.
Se voulant rassurante, la Pre Robillard affirme que l’insomnie causée par la pandémie sera passagère. « Je veux éviter d’angoisser les gens. Ne vous inquiétez pas si vous avez du mal à dormir en ce moment, c’est normal. »
Que se passe-t-il quand nous manquons de sommeil?
Selon le CSHP, l’insomnie aiguë peut entraîner des troubles de l’humeur et affaiblir le système immunitaire. Quant aux effets de l’insomnie chronique, ils vont de la dépression au diabète, en passant par les maladies cardiovasculaires. À ce palmarès d’effets peu réjouissants, la clinique Mayo ajoute des répercussions sur nos capacités décisionnelles et un risque accru d’accidents.
« Lorsque vous éprouvez des troubles du sommeil, la partie du cerveau associée aux émotions se dérègle, sans que la partie associée aux fonctions rationnelles soit affectée. Dès lors, nous avons du mal à comprendre les événements de la journée et à maîtriser nos émotions. En somme, quand nous dormons mal, nous sommes plus démunis pour affronter les défis de la journée », ajoute la Pre Robillard.
Le sommeil et la mémoire sont aussi intimement liés, même si la relation n’est pas nettement définie. « Le sommeil nous permet d’organiser ce que nous avons appris pendant la journée, en transférant cette information de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme », explique Thanh Dang-Vu, titulaire de
la chaire de recherche de l’Université Concordia sur le sommeil, la neuro-imagerie et la santé cognitive, à Montréal.
« Les effets de l’insomnie se font sentir lorsque nous essayons d’exécuter une tâche cognitive. Les insomniaques ont généralement une moins bonne mémoire. Cela dit, tous les insomniaques ne souffriront pas d’une mémoire défaillante », précise-t-il. S’il est vrai que le manque de sommeil a des effets néfastes sur la santé du cerveau chez certaines personnes, ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Par ailleurs, si le Dr Thanh Dang-Vu estime souhaitable de maintenir de saines habitudes de sommeil et de traiter l’insomnie chronique, s’inquiéter outre mesure du manque de sommeil peut aussi devenir une source d’anxiété, ce qui donne lieu à d’autres problèmes, notamment l’isolement social et une baisse d’activité.
Profiter d’une bonne nuit de sommeil
Au nombre des remèdes naturels contre l’insomnie, citons la consommation, avant de se coucher, d’un bol de gruau — un soupçon de muscade en rehausse l’efficacité, paraît-il — ou d’une dose d’huile de cannabidiol.
Hélas, aucune preuve n’existe concernant leur efficacité.Cela ne signifie aucunement que rien ne marche.
Une astuce éprouvée consiste à choisir un nombre, 289 par exemple, et à compter à rebours. Cela fonctionne, car il est rare qu’on parvienne à compter jusqu’à zéro.
« Notre cerveau veut dormir, mais l’activité cérébrale l’en empêche. Le décompte fait diversion, permettant à notre cerveau de se ressourcer », explique le Dr Samuels.
Comme nombre de spécialistes, il recommande d’éviter la consommation d’alcool pour faciliter le sommeil, parce que cela diminue la durée de la phase réparatrice du sommeil paradoxal.
De plus, il affirme catégoriquement que les dispositifs numériques nuisent à notre sommeil à cause de la lumière qu’ils dégagent et parce qu’ils stimulent l’activité cérébrale. « Les écrans sont néfastes, point final. La télévision est acceptable, mais les écrans sont à proscrire et il existe de nombreuses recherches sur le sujet qui le confirment ». À son avis, il faut éteindre ces appareils dès 18 h afin de favoriser le sommeil.
D’autres spécialistes, comme la Pre Robillard et le Dr Dang-Vu, recommandent de faire de l’exercice régulièrement, de profiter du soleil (pour régulariser notre rythme circadien), et d’observer une routine quotidienne avec des heures fixes de lever et de coucher. La mélatonine, un supplément en vente libre, est une hormone naturelle qui peut aider à régulariser notre cycle de veille et de sommeil, mais il convient de consulter d’abord son médecin.
Les somnifères, sur ordonnance ou en vente libre, comportent certains risques qui s’aggravent avec l’âge. Ils peuvent notamment occasionner de la constipation, des étourdissements et un risque accru de chute lorsque nous nous levons au milieu de la nuit.
Pour les personnes souffrant d’insomnie chronique, la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie semble être la solution idéale. Offerte dans plusieurs cliniques du sommeil, elle contribue à déterminer les croyances, les inquiétudes et les comportements qui sont source d’insomnie.
Au bout du compte, le Dr Samuels recommande aux personnes souffrant d’insomnie aiguë de consulter leur médecin. « Les patients insomniaques devraient demander de l’aide, car il existe des solutions ».