L’infirmière auxiliaire autorisée Anita Dickson s’exprime avec compétence et connaissance sur les soins aux aînés des secteurs public et privé en Colombie-Britannique. Et elle travaille assidûment à leur apporter des changements.
Le taux d’infection élevé à la COVID-19, le lourd bilan en matière de décès et les récits traumatisants provenant des établissements de soins de longue durée (SLD) partout au pays, surtout au Québec et en Ontario durant la première vague, ont attiré une attention particulière sur les soins aux aînés. En Ontario, la plupart des décès dans les établissements de SLD sont survenus dans des établissements privés à but lucratif, ce qui a déclenché une discussion à l’échelle nationale comparant les établissements de SLD publics, à but lucratif et à but non lucratif.
Anita Dickson, une infirmière auxiliaire autorisée ayant de l’expérience en comptabilité, a travaillé dans les deux types d’établissements. Au début, elle aspirait à devenir une infirmière autorisée, mais le fait d’être une mère monoparentale de trois enfants signifiait qu’elle devait y aller une étape à la fois. Elle travaille maintenant comme infirmière en salle d’urgence. Auparavant, elle travaillait comme infirmière auxiliaire autorisée en soins palliatifs de même que comme formatrice, consultante et gestionnaire dans deux résidences-services, l’une du secteur privé et l’autre au public.
Étant donné son expérience, Mme Dickson connaît très bien le système des soins de santé et son modèle de prestation en Colombie- Britannique. Elle connaît le domaine et ses politiques, en plus de la recherche et des revendications relatives aux soins aux aînés.
L’importance d’avoir des travailleurs de première ligne à la table où sont prises les décisions a été un apprentissage important pour elle. Souvent, lorsque les politiciens et les autorités sanitaires organisent des tables rondes et des consultations, ils demandent conseil à des universitaires. Même si les professeurs universitaires devraient exercer de l’influence sur le processus décisionnel avec leurs résultats de recherches, et le font d’ailleurs, les réflexions, les besoins et les opinions des personnes qui travaillent en première ligne dans ce système sont trop souvent ignorés. Même lorsque des travailleurs de première ligne, qui connaissent le mieux le fonctionnement du système actuel, ont un siège à la table, ils ne parviennent pas toujours à se faire entendre.
« Il y a des personnes [qui] n’ont jamais eu la chance de prendre place autour de ces tables et ne savent donc pas comment s’y exprimer », explique Mme Dickson. « Elles se sentent dépassées et s’abstiennent donc habituellement de parler. Nous devons leur permettre d’acquérir des compétences en leadership avant de les parachuter dans ces assemblées. »
Mme Dickson a également réfléchi sur les différences entre les deux modèles d’établissement de soins de longue durée.
Les problèmes de personnel, par exemple, existent dans les deux modèles. Même si ce problème est plus marqué dans le secteur privé, les deux types d’établissements relèvent des défis de dotation en personnel, car les soins de longue durée sont exigeants en main-d’oeuvre.
« Le modèle de dotation en personnel ne permet pas encore de fournir des soins de qualité » aux personnes en fin de vie ayant d’importants besoins, déclare-t-elle. « Encore aujourd’hui, même si on parle du modèle Gentlecare, ils gèrent toujours [ces établissements comme des institutions.] »
L’accessibilité constitue un autre problème du secteur public des SLD, du moins en Colombie-Britannique. Plusieurs personnes veulent aller dans des établissements de SLD du secteur public parce qu’ils sont moins dispendieux, mais à cause du nombre limité de chambres subventionnées par l’État, les délais d’attente peuvent être très longs. De plus, les gestionnaires de cas qui évaluent les patients sur la longue liste sont des infirmières autorisées, et des charges de travail volumineuses peuvent entraîner une paralysie du système. Enfin, les gens n’avaient pas leur mot à dire autrefois sur le lieu où ils allaient, mais la législation récente stipule que les patients peuvent dresser une liste de trois choix qui doivent être respectés, ce qui représente une nette amélioration, selon Mme Dickson.
Pour ce qui est du secteur privé, Mme Dickson explique qu’on peut facilement obtenir une chambre sans devoir attendre bien longtemps, à condition d’en avoir les moyens. Cependant, les coûts élevés peuvent mettre à sec l’épargne-retraite des aînés et avoir une incidence sur leur capacité à léguer un héritage à leurs proches. Les chambres sont plus belles dans le secteur privé et la nourriture meilleure. Il n’y a toutefois aucun ratio par rapport à la quantité de soins qu’un patient reçoit chaque jour ni réglementation en ce qui concerne les salaires. Cela se traduit par de bas salaires pour le personnel et des ratios personnel-résidents inférieurs, souligne-t-elle.
Lorsqu’on lui demande si les établissements de SLD à but lucratif peuvent être rentables tout en offrant des soins de qualité et de bonnes conditions de travail, elle estime qu’ils le peuvent, mais actuellement cela signifie souvent de transmettre les coûts aux résidents, puisqu’il n’existe aucun plafond législatif pour l’augmentation des coûts. Elle a été témoin de telles augmentations durant son mandat de gestionnaire dans des résidences-services.
« Ils augmentaient leur prix chaque année, à un point tel que des gens disaient “Je ne peux plus vivre ici” en pleurant », se souvient-elle. « Je [demanderais] qu’on augmente tout autant les soins de longue durée; seraient-ils en mesure d’offrir ce niveau de service? Ils le pourraient, mais il en coûterait une fortune au bénéficiaire de ces services. » En fin de compte, elle ne croit pas qu’on devrait réaliser des bénéfices sur des services de santé.
À l’heure actuelle, Mme Dickson considère que les problèmes les plus urgents que les établissements de soins aux aînés doivent surmonter sont les ratios en personnel et les modifications aux méthodes pour fournir et pour distribuer l’équipement de protection individuelle (ÉPI). À court terme, les ratios en personnel devraient être la priorité, affirme-t-elle. Elle suggère que chaque province crée un groupe de travail qui se concentre sur l’élaboration d’un meilleur modèle de dotation du personnel pour augmenter les ratios partout, ce qui permettrait au secteur d’offrir de meilleurs soins. Sa deuxième priorité, attribuable à la pandémie de COVID-19, du moins en partie, est de conférer la gestion de l'approvisionnement et de la distribution en ÉPI aux autorités sanitaires, à facturer ensuite au secteur à but lucratif.
À long terme, étant donné les prévisions quant à la croissance exponentielle de la population d’aînés dans les années à venir, elle recommande une importante restructuration du modèle d’affaires des SLD. Cela pourrait comprendre de limiter les investissements privés aux immeubles et aux actifs immobilisés et de laisser la gestion des ressources humaines et des soins de santé à des groupes de travail ou à des organismes publics ou sans but lucratif. Ce travail doit commencer maintenant, affirme-t-elle, parce que les aînés le méritent.
« Continuons à nous faire entendre, voilà mon mantra », ajoute Mme Dickson. Et c’est vraisemblablement ce que fera cette lauréate de diverses distinctions en soins infirmiers, dont celle de « meilleure infirmière de chevet » du Collège communautaire de Vancouver, d’un « prix pour héros des soins de santé » de l’Association des employés de la santé de la C.-B. et d’une distinction décernée par le gouvernement provincial la consacrant membre du groupe des 150 infirmières extraordinaires de la Colombie-Britannique.
Jean-Sébastien Côté est agent des relations gouvernementales provinciales et territoriales pour l’Association nationale des retraités fédéraux. Il a entendu Anita Dickson pour la première fois lors d’un webinaire organisé en décembre par la Coalition sur la santé de la C.-B., sur le thème de l’engagement à pallier les lacunes dans les soins aux aînés.