Certains tests ADN prétendent pouvoir déterminer le patrimoine génétique et l’origine ethnique. Les acheteurs devraient être conscients des risques et faire preuve de diligence raisonnable avant de donner leur salive.
Après avoir passé une bonne décennie à faire des recherches sur l’histoire de sa famille et à retracer ses racines généalogiques, Julia Creet s’est penchée sur certaines des nouvelles options offertes par une technologie de plus en plus accessible : l’analyse ADN commerciale.
Ses découvertes ont conduit la professeure d’anglais de l’université York à écrire un livre, Genealogical Sublime, et à produire un documentaire sur la façon dont certaines entreprises en pleine croissance gagnent beaucoup d’argent grâce à de puissants outils technologiques qui permettent de retracer les lignées dans ce qu’elle décrit comme une industrie peu réglementée.
« Vous n’avez absolument aucun moyen d’anticiper la façon dont ces informations pourraient être utilisées à l’avenir », affirme-t-elle. « Et en voici deux exemples : Auriez-vous anticipé qu’en donnant votre ADN à l’une de ces bases de données, il serait utilisé par les forces de l’ordre? Et auriez-vous prévu qu’il serait vendu à l’industrie pharmaceutique? »
L’industrie pharmaceutique et les forces de l’ordre sont les deux principaux utilisateurs des bases de données génétiques, explique-t-elle. Malgré cela, les trousses de test ADN ont été remarquablement populaires et sont de plus en plus accessibles, certaines entreprises les proposant pour seulement 99 dollars. Mais il peut être difficile de comprendre la valeur collective de ces informations.
Il y a deux ans, le directeur scientifique d’une plateforme de généalogie en ligne a tiré la sonnette d’alarme quant aux implications en matière de protection de la vie privée. Il a projeté que 60 % des personnes d’origine européenne aux États-Unis, même celles qui n’ont pas subi de tests génétiques, pouvaient être identifiées grâce aux informations génétiques disponibles. Outre cela, cette technique pourrait impliquer la quasi-totalité des Américains d’origine européenne dans un avenir proche.
« Une fois que vos informations figurent dans cette base de données, elles ne peuvent plus être détruites », explique Mme Creet.
L’ADN d’une personne est versé dans un fonds génétique et sert en quelque sorte de lien avec les autres données génétiques de ce fonds. Une fois dans ce fonds, cette relation est établie avec l’ADN d’autres personnes. Cet ADN et le lien établi ne peuvent alors jamais être supprimés. La valeur des bases de données génétiques réside donc dans les informations collectives qui sont établies grâce aux nombreuses contributions individuelles.
Un simple échantillon de salive permet à ces sociétés commerciales de vous fournir une analyse détaillée de vos antécédents, ce qui peut comprendre votre appartenance ethnique et votre pays d’origine. Certaines d’entre elles vous diront également si vous êtes susceptible de contracter une maladie ou d’avoir un problème de santé.
Et ces bases de données sont constituées au fil du temps, chaque échantillon étant testé. Ainsi, la prochaine personne qui soumettra un échantillon de salive pourrait bénéficier des informations recueillies à partir du vôtre.
Melanie Care, conseillère en génétique au Réseau universitaire de santé de l’Hôpital général de Toronto, laisse entendre que les tests sont avant tout perçus comme récréatifs. Mais elle suggère également que ceux qui effectuent ces tests se préparent à ce qu’on leur fasse certaines révélations. Il y a maintenant tant de cas de personnes qui apprennent l’existence de frères et soeurs dont elles ignoraient l’existence ou qui finissent par se mettre en rapport avec leurs parents qui avaient donné leur bébé en adoption. Il est néanmoins possible que ces révélations soient encore plus frappantes. Et sans être toujours exactes.
« Vous devez savoir dans quoi vous vous embarquez. Ce que ces résultats pourraient potentiellement vous dire et ce qu’ils ne peuvent pas vous dire », ajoute Mme Care, qui est également présidente de l’Association canadienne des conseillers en génétique. « Ils ne vous donneront pas nécessairement les réponses que vous anticipez. »
Pour illustrer le fait que les tests manquent parfois de cohérence, elle évoque un reportage de la CBC qui porte sur des jumeaux identiques ayant obtenu des résultats de tests différents. Les résultats, précise-t-elle, ne reflètent peut-être pas vraiment votre constitution génétique. Elle craint que les personnes qui espèrent glaner des informations d’ordre médical à partir des trousses de test commerciales soient faussement rassurées quant à leurs probabilités d’attraper certaines maladies, ou l’inverse.
« Ce risque est réel, je l’ai constaté. Je l’ai vu dans les deux sens », affirme-t-elle. « Très peu de gens vont au fond des choses quand ils effectuent ces tests. »
Le message à retenir est qu’il faut traiter ces tests comme n’importe quel autre bien de consommation — il revient aux acheteurs de prendre garde.
« Lorsqu’il est question de tests ADN, on passe à un niveau supérieur, en quelque sorte un niveau 11 », déclare David Fraser, avocat spécialisé dans la protection de la vie privée à Halifax. « Les tests génétiques ne ressemblent à rien d’autre dans le sens où les informations relatives à mon patrimoine génétique sont aussi des informations sur le patrimoine génétique de mes enfants, de mes parents et de mon frère. Ainsi, un petit échantillon de mon corps dévoile en réalité un grand nombre d’informations génétiques et biologiques sur les membres de ma famille. »
Et, parce que ces informations en disent long sur les membres de votre lignée, M. Fraser suggère aux personnes qui envisagent de faire un test d’en discuter avec les membres de leur famille et d’obtenir leur consentement.
Certaines entreprises vendent à des sociétés pharmaceutiques les données qu’elles recueillent auprès de leurs clients. D’autres peuvent donner suite aux demandes d’accès à ces informations provenant de la police.
M. Fraser suggère par conséquent d’effectuer des recherches sur l’entreprise avant de s’engager et de lire ses pratiques et politiques en matière de protection de la vie privée.
Si votre empreinte génétique, qui se retrouve dans le reste de votre arbre généalogique, existe dans un système, la police pourrait bien pouvoir y accéder au moyen d’une ordonnance d’un tribunal. Et, dans ce que M. Fraser décrit comme un cas typique d’abus de pouvoir, la police peut même ne pas s’embêter à obtenir un mandat.
L’affaire du tueur du Golden State (la Californie) est souvent citée comme un exemple de ruse policière ayant profité de tiers sans méfiance.
La Cour suprême du Canada« L’existence de ces bases de données et le fait que la police pense qu’elle peut les utiliser à sa guise m’inquiètent », lance M. Fraser.
D’ici peu, enchaîne-t-il, le réservoir d’informations génétiques pourrait devenir si important que des déterminants particuliers, comme la taille des oreilles ou la forme du nez, deviendront disponibles.
« Les consommateurs devraient être conscients de ce dans quoi ils s’embarquent et de ce qu’ils pourraient découvrir », estime-t-il.
À lui seul, l’ADN est quelque peu dénué de sens, ajoute Mme Creet. Sa valeur réside dans les informations qui l’accompagnent.
« C’est la combinaison des informations généalogiques, des arbres généalogiques et de l’ADN qui rend ces bases de données si puissantes », précise-t-elle.
La Cour suprême du Canada
D’autres nouvelles sur le front de l’ADN
En juillet, la Cour suprême du Canada a confirmé une loi fédérale empêchant des tiers de solliciter des informations génétiques auprès d’individus. La non-discrimination génétique relève de la compétence fédérale. Cette loi, qui est entrée en vigueur en mai 2017, visait à protéger les informations génétiques des Canadiens contre les employeurs ou les compagnies d’assurance qui, autrement, pourraient les exiger. Elle a également instauré des sanctions pour les groupes ayant par exemple exigé que la signature d’un contrat soit conditionnelle à la réalisation d’un test génétique. Le gouvernement du Québec a contesté la loi, arguant qu’elle empiétait sur les compétences provinciales. Lorsque la Cour d’appel provinciale a donné raison à la province, la Coalition canadienne pour l’équité génétique a fait appel de la décision devant la Cour suprême. Les tests génétiques sont utilisés pour toutes sortes de raisons, notamment pour retrouver des racines familiales, mais aussi pour identifier des maladies héréditaires ou des gènes délétères. La Commission canadienne des droits de la personne a fait valoir que le fait de subir un test génétique qui pourrait vous sauver la vie ne devrait pas vous faire perdre vos perspectives d’emploi ou d’assurance.
Le cas du tueur du « Golden State »
En pénétrant par un moyen détourné dans une base de données ADN, la police a pu finalement capturer le tueur du Golden State qui lui avait échappé pendant des décennies.
Les détectives ont créé un faux profil et téléversé un échantillon d’ADN de leur suspect. Et ils ont obtenu un résultat, en établissant des correspondances avec des membres éloignés de sa famille. Cela a donné lieu à un travail de recherche généalogique et d’investigation pour réduire le nombre de correspondances. Et cela a finalement conduit à l’arrestation de l’ancien policier Joseph James DeAngelo, à Sacramento.
Le tueur a plaidé coupable de 13 meurtres et serait responsable de plus de 50 viols et de plus de 100 cambriolages commis en Californie entre 1974 et 1986. Il n’a jamais téléversé son ADN dans la moindre base de données, mais quelqu’un qui lui est apparenté l’a fait.
— Rédigé avec le concours de Julia Creet
Marg Bruineman est une journaliste primée spécialiste des reportages sur la justice et des histoires vécues.