
Elle transforme la façon dont nous vivons, nous divertissons et travaillons. Examinons son utilité et les pièges à éviter.
Àl’instar d’un compagnon de longue date, elle termine vos phrases pour vous. Elle démarrera la voiture avant que vous y montiez, puis elle mettra de la musique et augmentera le chauffage lorsqu’on le lui demande. Parfois, elle agit même sans qu’on lui dise quoi que ce soit.
Chaque jour, la technologie derrière l’intelligence artificielle (IA) semble proposer quelque chose de nouveau. Des assistants intelligents à commande vocale appliquent vos directives pour envoyer des messages textes, rédiger et traduire habilement des textes, organiser une liste d’écoute musicale ou sélectionner une recette. Aux montres intelligentes, qui effectuent le suivi de votre santé et de votre condition physique en étant connectées à votre téléphone cellulaire, ont succédé les bagues intelligentes, de minivariantes des montres. Vous pouvez contrôler l’entretien et la température de votre spa à l’aide de votre téléphone. Des lunettes intelligentes dotées d’IA sont maintenant offertes sur le marché, permettant à la personne qui en porte de prendre des photos et des vidéos.
Lorsque vous montez dans votre voiture, vous entrez dans un univers fondé sur l’IA. Évidemment, il y a les voitures autonomes, et ce phénomène futuriste fait maintenant partie du présent. Mais il existe également une multitude de fonctions de sécurité faisant appel à l’IA, comme les systèmes d’avertissement de sortie de voie, d’aide au suivi de voie et d’évitement des collisions, ainsi que le régulateur de vitesse intelligent et les systèmes de surveillance des panneaux de signalisation et de la conduite routière.
Comme l’IA peut analyser rapidement d’énormes quantités de données, elle transforme la façon dont nous vivons, nous divertissons, travaillons et interagissons avec la technologie, parfois à notre insu, comme lorsqu’elle complète nos phrases en cours de rédaction d’un courriel, voire lorsqu’elle propose des réponses adaptées à des courriels entrants. Parmi ses capacités, on retrouve de plus en plus d’applications pouvant faciliter le quotidien des aînés qui vivent chez eux, leur procurant ainsi une plus grande autonomie.
« Les possibilités sont tout simplement formidables », affirme Jon Dron, doyen associé à l’apprentissage et à l’évaluation de la Faculté des sciences et technologies de l’Université d’Athabasca, en Alberta. « En gros, nous disposons de ce que l’un de mes collègues a décrit comme étant un assistant de recherche ivre. C’est comme disposer d’un expert en tout et pour tout.
Il consulte 170 millions de livres dans la bibliothèque du Congrès, en traitant un milliard de pages de texte. Il ne s’agit que d’une infime fraction de ce que cela comprend. À partir de cette mine d’information, il produit ensuite des modèles » pour la plupart logiques, mais parfois incorrects, souligne-t-il. Les processus fondés sur l’IA, poursuit-il, ne sont pas des outils intelligents. Ils sont plutôt comparables à un coéquipier ou à un assistant pouvant se joindre à une équipe.
Les possibilités de cette technologie permettant aux ordinateurs et aux machines de simuler l’apprentissage humain semblent infinies. En y songeant, elles peuvent devenir terrifiantes. Néanmoins, au fil des transformations qu’elle provoque dans le monde et des nouvelles possibilités qu’elle révèle, le potentiel humain s’en trouve amplifié. Pour l’amour du ciel, l’IA trouve même des phrases comme« amplifier le potentiel humain » pour se décrire elle-même!
Sur le plan de la santé, l’IA s’avère déjà particulièrement utile. Des dispositifs portatifs permettent d’effectuer le suivi de signes vitaux et peuvent indiquer n’importe quelle anomalie en temps réel. Les systèmes de surveillance à domicile, et même les montres intelligentes, peuvent détecter les chutes ou les accidents, pour que les secours se mettent en route sans même que la personne ne les appelle. Les assistants médicaux fondés sur l’IA peuvent créer des rappels pour les rendez-vous et la prise de médicaments. On travaille également à la création d’un robot conversationnel pouvant tenir une conversation et exprimer des émotions dans ses réponses.
« On l’utilise de nombreuses façons dans le domaine des soins de santé », mentionne la Dre Jessica Cuppage, médecin-chef responsable de l’innovation au Baycrest Hospital, qui occupe également un rôle clinique dans le cadre des soins en phase postaiguë de cet établissement de Toronto. « Il s’agit d’outils de reconnaissance des tendances, qui recueillent essentiellement des données provenant d’une multitude de sources et qui les emploient pour obtenir un certain résultat digne d’intérêt. »
À l’Institut de recherche en santé Bruyère d’Ottawa, la chercheuse Lisa Sheehy utilise la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle pour créer un compagnon virtuel pour les résidents atteints de démence. Ce compagnon, Kiera, interagit surtout avec les résidents pour favoriser les réminiscences et la narration. Une autre application l’utilise pour la gestion de la douleur ou comme distraction lors du changement d’un pansement.
Dans le cadre d’une autre initiative de l’Institut Bruyère, on a eu recours à l’IA afin de mieux prédire l’évolution de la santé des aînés, pour ensuite prendre de meilleures décisions en ce qui concerne leurs soins. L’équipe de recherche a mis au point des algorithmes de prédiction sur le Web pour aider les utilisateurs à comprendre leur risque de contracter diverses maladies, ainsi que leurs besoins ultérieurs qui pourraient en découler en matière de soins de santé. Des calculateurs (projectbiglife.ca) établissent l’espérance de vie potentielle d’une personne en fonction de renseignements sur sa santé et de sa capacité actuelle à prendre soin d’elle-même.
Certains outils cliniques prédisent la présence ou l’absence d’une maladie, mentionne la Dre Cuppage. Plusieurs renseignements sur la santé peuvent être révélés au moyen d’outils dotés d’IA, ce qui peut comprendre le suivi des signes vitaux et l’analyse de résultats de prélèvements sanguins.
Les systèmes de surveillance de la localisation comprennent non seulement les dispositifs portatifs, mais également des instruments de mesure connectés à distance, comme une balance. Avec l’aide de l’IA, on peut analyser les formes d’expression orale, les comportements et d’autres actions individuelles pour estimer la possibilité d’un risque de détérioration, d’une maladie comprenant un déclin cognitif ou de préoccupations liées à la démence, comme l’agitation, l’errance ou les chutes. Les données peuvent servir à créer des alertes à propos de changements liés à d’autres problèmes médicaux qui nécessitent des soins médicaux, comme l’insuffisance cardiaque. Certains hôpitaux utilisent les instruments dotés d’IA afin de prédire les résultats cliniques en fonction du dossier du patient.
Les solutions fondées sur l’IA peuvent analyser les formes d’expression orale, le comportement et l’activité quotidienne, afin de prédire le moment auquel un déclin cognitif pourrait s’aggraver ou lorsqu’il devient probable que des problèmes de comportement, comme l’agitation ou l’errance, surviennent. Cela permet aux personnes soignantes de planifier et de s’y préparer, en offrant de façon proactive des soins adaptés aux besoins évolutifs de la personne.
Le modèle de soins aux personnes atteintes de démence Possibilities by Baycrest, fondé sur la neuroscience cognitive, offre un soutien mnésique aux résidents de Baycrest Terraces. Il contribue à l’élaboration d’activités de loisirs personnalisées, à la création de liens sociaux et spirituels et à la découverte de possibles compétences et passe-temps. Un système de détection des chutes activé par IA prédit les chutes et déclenche plus rapidement l’intervention qui s’en suit. Baycrest utilise aussi des toilettes intelligentes, qui génèrent des alertes lorsqu'une fréquence d'utilisation inhabituelle commence à se développer.
Compte tenu des avantages, on réclame la mise au point d’autres mesures de soutien pour notre communauté vieillissante fondées sur l’IA, puisque la population des aînés du Canada devrait dépasser les 10,4 millions d'ici 2037, soit près de 25 % de la population.
La Dre Cuppage reconnaît le potentiel de l’IA pour contribuer à l’élaboration de programmes de soins individuels offrant aux patients des solutions qui leur conviennent mieux.
Les médicaments n’agissent pas de la même façon pour tous et certaines personnes sont plus susceptibles de contracter certaines maladies que d’autres, souligne-t-elle.
« L’une des possibilités vraiment fascinantes de l’IA en matière de soins aux aînés est la médecine personnalisée. L’IA peut assimiler beaucoup plus de données entrantes qu’un cerveau. Beaucoup de recherches passionnantes sont en cours sur des aspects des renseignements sur la santé d’une personne : les données physiologiques, mais aussi génomiques, par exemple… Pour être en mesure de fournir des renseignements hyperspécialisés et personnalisés pour chacun », dit-t-elle.
Elle perçoit des possibilités accrues pour l’IA dans le contexte des soins aux personnes atteintes de démence à l’avenir.
Il existe également des initiatives visant à diversifier davantage la médecine personnalisée et à améliorer les méthodes diagnostiques, pronostiques et de traitement.
Mise en garde
L’IA comporte des risques. Méfiez-vous de ces pièges.
Après avoir remporté le prix Nobel de physique pour ses travaux en matière d’intelligence artificielle (IA) avec le physicien américain John J. Hopfield à l’automne 2024, le scientifique britanno-canadien Geoffrey Hinton, souvent surnommé le parrain de l’IA, a souligné, parallèlement aux prodiges proposés par cette technologie, qu’il est nécessaire d’en maintenir la sécurité. Il a émis une mise en garde contre ses risques.
« Cela ressemblera à la révolution industrielle, mais, au lieu de surpasser nos capacités physiques, cela surpassera nos capacités intellectuelles », a-t-il expliqué à la BBC.
« […] Je crains que les conséquences globales de cette situation puissent être des systèmes plus intelligents que nous qui pourraient ultimement prendre le contrôle. »
Cette inquiétude trouve un écho auprès de personnes travaillant dans tous les domaines dans lesquels l’IA est perçue comme offrant un immense potentiel pour aider avec un grand nombre de préoccupations sociétales.
Dans un domaine éprouvant des difficultés financières, comme l’éducation, l’IA représente une solution simple et pourtant fort inadéquate, affirme Jon Dron, doyen associé à l’apprentissage et à l’évaluation de la Faculté des sciences et technologies de l’Université d’Athabasca.
Grâce à leur capacité de reconnaissance des tendances fondée sur de très nombreuses données, des ordinateurs enseignant aux enfants constituent une solution économique, mais, en fin de compte, cela se résume à compter sur la technologie pour inculquer à de jeunes humains la façon d’être humain. Il redoute également le risque d’atrophie des compétences créatives de la race humaine, tandis qu’on mise davantage sur la technologie pour créer des choses comme des diaporamas, des photos, des tableaux et des vidéos. « Je suis un mordu absolu de la techno, mais certaines des conséquences possibles me terrifient. »
Bien que la compagnie prodiguée par l’IA aux personnes seules vieillissant chez elles serait un avantage, une voix générée par ordinateur, prévient-il, ne constitue pas une présence humaine.
« Les boîtes de clavardage fondées sur l’IA peuvent parfois produire des réponses inexactes ou imprécises », ajoute la Dre Jessica Cuppage, médecin-chef responsable de l’innovation au Baycrest Hospital, évoquant le concept de la « fabulation de l'IA » ou une réponse générée par l’IA comportant des renseignements faux ou trompeurs qu’elle présente comme étant des faits.
« Il est donc très important de vérifier les renseignements obtenus au moyen de l’IA. L’IA révolutionnera vraiment tous les secteurs et les soins de santé n’y échappent pas… [mais] il est important d’employer l’IA, alors que nous l’utilisons de plus en plus, de manière réfléchie. »
— Marg Bruineman