Les possibles traquenards de l'amour sur le tard

20 avril 2022
Trouver l'amour plus tard dans la vie est une belle aventure.
Trouver l'amour plus tard dans la vie est une belle aventure. Mais lors d'une deuxième relation, les gens qui ont des enfants peuvent les déshériter par accident, s'ils ne règlent pas certains détails.
 

Lynne Butler se souvient d’une cliente qui l’a consultée dans un moment de pure détresse. Le fils de son conjoint récemment décédé avait fait exhumer et transférer la dépouille de son père dans un autre cimetière, et refusait d’en dévoiler l’emplacement.

« Elle n’avait aucun recours juridique parce que ce fils était l’exécuteur testamentaire », se remémore l’avocate de St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. « Ils n’étaient pas mariés et elle n’avait pas le droit d’être son exécutrice testamentaire. Son fils, oui. Il avait donc le droit de disposer de sa dépouille. »

« Vous n’avez probablement jamais vu une personne pleurer autant que cette pauvre femme. »

Les quelque vingt années de leur vie de couple étaient sans importance. Ils n’étaient pas mariés et n’avaient pas rédigé de testaments reconnaissant leur nouveau conjoint ou son rôle au sein de leur succession. C’est ce qui a cause un tel chagrin à cette femme de Terre-Neuve-et-Labrador qui n’avait aucun recours.

Heureusement, ajoute Mme Butler, la ville de St. John’s n’est pas bien grande. Un technicien juridique a fait quelques appels, a localisé le cimetière et a trouvé l’emplacement funéraire. Cette souffrance aurait néanmoins pu être évitée par une planification adéquate, un point dont Me Butler souligne l’importance pour les relations amoureuses sur le tard.

Les personnes engagées dans une deuxième relation ou une relation ultérieure pourraient déshériter par mégarde leurs enfants d’une union précédente, donner le pouvoir de prendre des décisions sur leur santé à une personne qu’elles n’ont pas choisie et nuire à leur propre santé financière. Ensuite, la liste de conséquences imprévues, dont des différends sur l’endroit du repos éternel, pourrait très bien s’allonger.

« Les gens ne réalisent pas leur rôle de charnière entre leur nouvelle et leur ancienne famille et que, lorsqu’ils ne seront plus là, il n’y aura plus de lien. Cela peut parfois créer beaucoup d’animosité, pour des choses auxquelles on n’aurait pas nécessairement songé », mentionne Me Butler.

La plupart des personnes engagées dans une deuxième relation ou une relation ultérieure que Karin Mizgala a rencontrées ont des enfants adultes. Même si plusieurs d’entre elles avaient bien planifié et avaient des testaments, de nouvelles conditions de vie peuvent changer cela. Si elles se marient

dans certaines provinces, cela annule automatiquement leurs testaments et le nouveau conjoint devient l’héritier en l’absence d’un testament. Il se pourrait fort bien qu’il ne reste rien pour les enfants de la personne décédée.
 

Faire preuve d’ouverture dès le début

Mme Mizgala, chef de la direction et cofondatrice de Money Coaches Canada, un réseau de planificateurs financiers conseils, estime que pour bâtir une relation solide, il faut que les personnes fassent preuve d’ouverture quant à leur situation financière. En discuter dès le départ aidera ces personnes à prévenir les conflits et à éviter les ennuis à l’avenir.

« Beaucoup de gens évitent le sujet de l’argent. Ajoutez la composante successorale, les testaments et ainsi de suite, le mutisme s’aggrave », mentionne Mme Mizgala. « Je pense que cela s’avère particulièrement difficile dans le cas d’une deuxième relation, parce que c’est plus confus. »

« Ça peut se gâter si l’on n’a pas désigné de bénéficiaire, si l’on n’a pas rédigé de testament définissant de façon précise sa volonté par rapport à ses relations actuelles… Il s’agit de commencer la relation en ayant une certaine compréhension de ce qui se produirait si la relation prend fin. »

Elle reconnaît que discuter d’argent avec un nouveau conjoint peut créer un malaise, mais Mme Mizgala perçoit la discussion des actifs et du passif comme étant nécessaire pour éviter de futurs problèmes. Il faut tout d’abord tenter d’établir son approche pour tout ce qui touche à la situation financière et à la succession, puis il faut y donner suite avec l’aide d’un planificateur financier et d’un avocat.

En plus de rédiger ou de réviser son testament, il est également important de porter attention aux personnes qui sont désignées à titre de bénéficiaires dans les documents financiers, comme les REER, les CELI, les pensions et l’assurance-vie. Le nom inscrit lors de l’ouverture initiale de ce compte il y a plusieurs années risque de ne plus être pertinent.

Désigner son conjoint à titre de bénéficiaire peut également comporter des avantages. Un REER, par exemple, peut être exempté d’impôts lors de son transfert au conjoint, mais il vaudrait peut-être mieux léguer d’autres actifs aux enfants. Une planification judicieuse, souligne Mme Mizgala, peut aider la succession à optimiser la valeur des actifs.

Karin Mizgala.

Karin Mizgala, chef de la direction et cofondatrice de Money Coaches Canada, recommande aux nouveaux conjoints d'être complètement ouverts quant à leur situation financière.
 

Elle préconise une approche coordonnée entre l’élaboration du testament et les désignations de bénéficiaire qui ne relèvent pas du testament, pour prévenir les contradictions et la confusion. Une mesure simple, comme les comptes conjoints, peut également faire une grande différence. La désignation d’un compte conjoint permet le transfert de cet actif vers l’autre personne grâce au droit de survie. Cela permet au moins d’accéder à certains fonds jusqu’à ce que la succession soit réglée.

Un contrat familial ou de mariage ou un accord prénuptial peut tenir compte de scénarios potentiels, comme une rupture de la relation, un décès ou un mauvais état de santé. Il vaut mieux conclure ces accords tôt, lorsque les intéressés entretiennent de bonnes relations. Le plan qui en résulte peut présenter les intentions des deux parties.

Un autre élément à considérer pour les personnes qui amorcent une nouvelle relation durable est de mettre officiellement fin à un mariage antérieur pour prévenir des complications dans une nouvelle relation, précise l’avocat québécois Marc Gélinas, dont la pratique est virtuelle sur son portail juridique, www.avocat.qc.ca. Un mariage précédent impose d’importantes obligations légales si une personne ne divorce pas et ne rédige pas un nouveau testament lorsqu’elle a un nouveau conjoint.

Lorsqu’une personne décède sans avoir divorcé de son conjoint précédent, par exemple, sa part du domicile qu’elle partage avec son actuel conjoint de fait revient automatiquement à son conjoint précédent, s’ils sont toujours légalement mariés, et à ses enfants. Un testament donne plus de pouvoir.

« Si on divorce sans avoir rédigé de testament, l’ex-conjointe est l’héritière légale. Elle obtient la moitié de tout et les enfants obtiennent l’autre moitié, ce qui signifie que la nouvelle conjointe de fait n’obtient rien », mentionne

Me Gélinas. « Il y a tant de situations étranges qui peuvent se produire et  c’est ce genre de choses que nous désirons éviter. »
 

Les options au Québec

Les Québécois ont trois options en matière de testament, qui ont toutes des pour et des contre. Un testament olographe est rédigé, signé et daté de façon manuscrite et ne requiert aucun témoin. Une deuxième option est un testament signé devant deux témoins, que l’on peut acheter en ligne pour 

49 dollars. L’inconvénient d’un testament signé devant témoins ou d’un testament olographe est qu’il doit être vérifié au moment du décès, ce qui peut coûter jusqu’à 800 dollars à la succession.

Ces deux options sont excellentes pour de plus jeunes personnes qui comptent assurément modifier leur testament dans un avenir proche. Me Gélinas suggère la troisième option, un testament notarié, comme étant la meilleure pour les personnes âgées, puisqu’elle consiste à effectuer le travail et à en payer le coût au préalable et qu’aucune homologation n’est nécessaire. Cependant, n’importe quel testament vaut mieux que de ne pas en avoir du tout, même pour les personnes ne possédant aucun avoir, sinon le gouvernement québécois devra nommer un curateur public qui facture son travail à la succession.

Le gouvernement québécois accorde également les mandats associés aux directives médicales anticipées qui indiquent le consentement ou le non-consentement d’une personne en matière de soins, en cas d’inaptitude. Les Québécois en font la demande en ligne à l’aide du formulaire approprié. Les renseignements sont alors téléversés gratuitement dans une base de données. Dans les autres provinces, designer une personne à titre de mandataire en matière de soins personnels et de santé est effectué à l’aide d’une procuration, d’une directive de soins personnels de santé ou d’une entente de représentation.

Les avocats torontois Kimberly Whaley et Bryan Gilmartin ont été témoins d’un éventail de difficultés pouvant découler d’unités familiales complexes. Cela peut aller des allégations d’influence indue du nouveau conjoint ou des enfants à des réclamations pour le conjoint survivant, la division des biens familiaux, des contestations du testament associées à un divorce antérieur, et des demandes en cour après le décès pour « un soutien approprié et adéquat. »

Me Whaley souligne que chaque province a ses propres lois visant le soutien aux personnes à charge.

« Oui, vous avez besoin d’un testament, d’un testament à jour. Il faut aussi que votre testament soit logique », remarque Me Whaley. « Cette planification doit veiller à la bonne gestion de toutes vos désignations et titres de propriété, dont celui de votre maison, en plus de disposer de procurations en cas d’inaptitude, pour qu’une personne honnête et digne de confiance, qui n’entre pas en conflit avec les bénéficiaires (...) et l’exécuteur testamentaire désignés en vertu du testament, soit en mesure de gérer vos actifs, au besoin. »

Il est essentiel de tout mettre par écrit. Il vaut toutefois aussi la peine d’en faire part aux membres de la famille en discutant clairement de ses volontés et de la situation avec eux. Cela devient particulièrement important lorsqu’il s’agit d’une unité familiale complexe. Cela offre au testateur la possibilité de présenter ses décisions et ses motifs, pour ne laisser aucune place aux spéculations  à l’avenir.
 

Des outils pour vous aiser

  • Le gouvernement fédéral a mis au point une Grille actif et passif du couple interactive sous forme de tableur, pour faciliter les calculs. Le site Web souligne que les lois en matière de partage des biens et des actifs communs sont différentes pour les conjoints de fait et les époux, tout particulièrement les conséquences sur les actifs et les biens.
  • Selon Money Coaches Canada, les personnes qui se remarient doivent tout d’abord considérer la façon dont les actifs sont combinés, la planification de l’avenir, la gestion des fonds liquides, la vision de la retraite, la planification successorale et les assurances.
  • Consultez le guide sur la planification successorale de Retraités fédéraux, Vous et vos survivants.

 

Cet article a été publié dans le numéro du printemps 2022 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?