Les résidents des établissements de soins de longue durée ont des droits différents dans tout le pays. Pourquoi ces droits sont-ils régulièrement violés?
Le discours canadien sur la pandémie de COVID-19 a rapidement porté sur l’échec du pays à protéger sa population d’aînés.
Avec un pourcentage accablant de 81 % des décès liés à la COVID-19 survenant dans des établissements de soins de longue durée (ESLD) au cours de la première vague, le Canada a accusé la proportion la plus élevée de décès dans des ESLD de tous les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui affichent des taux moyens de 38 %. Au Canada, cette situation variait encore plus d’une province et d’un territoire à l’autre. Certaines régions n’ont signalé aucun décès lié à la COVID-19 dans leurs ESLD, alors que dans d’autres, ceux-ci se sont élevés de manière astronomique à 80 et même à 97 %.
« Une tragédie nationale » est le seul terme qui convient pour exprimer ce qui est arrivé aux résidents des établissements de soins de longue durée.
De nombreuses organisations et campagnes demandent que les fournisseurs de soins de longue durée à but lucratif expliquent ce qui s’est passé et exigent la fin de la propriété et de la gestion à but lucratif du secteur des ESLD.
Des études visant à expliquer ce qui s’est passé dans les établissements de soins de longue durée du Canada durant la COVID-19 ont souligné plusieurs facteurs, y compris le type de propriété. De plus, tout est dans les détails.
En moyenne, les établissements à but lucratif se sont avérés être plus susceptibles d’offrir des services de moins bonne qualité. Une récente étude publiée dans la revue Journal of Post-Acute and Long-Term Care Medicine a déterminé que la probabilité qu’une éclosion survienne dans un établissement donné n’était pas liée à son statut à but lucratif, mais au taux élevé d’infections et de décès lorsqu’une éclosion se produit.
Comme le Canada a un pourcentage relativement faible d’ESLD à but lucratif comparativement à d’autres pays de l’OCDE, comment expliquer ces divergences du nombre de décès liés à la COVID-19 au sein des ESLD entre le Canada et ses homologues de l’OCDE?
Certains chercheurs suggèrent que, même si on a consacré beaucoup d’efforts à préparer le secteur hospitalier pour prévenir la congestion, on en a fait bien peu pour préparer le secteur des soins continus. De plus, face aux conséquences de certains des facteurs déconcertants et dévastateurs de la COVID-19, comme les patients asymptomatiques, la période de latence, le manque d’équipement de protection individuelle, le personnel non formé, les employés occasionnels travaillant à différents endroits, une surveillance et une réglementation de mauvaise qualité et des établissements dont l’aménagement est obsolète, on a pris trop peu de mesures, et trop tard.
Il est clair que des facteurs autres que le type de propriété ont influé sur la COVID-19 dans les soins de longue durée. Il reste toutefois important de souligner les différences décrites par rapport à la qualité du service et des soins entre les ESLD à but lucratif et à but non lucratif. Par exemple, une étude de 2015 a découvert que, après un an, les résidents d’établissements à but lucratif avaient 10 % de plus de risque de mortalité et 25 % de plus d’hospitalisation.
Dans une autre étude, une analyse systématique de plus de 8 800 études a été effectuée. Parmi ces études, 82 comparant la qualité des soins prodigués dans les ESLD à but lucratif et à but non lucratif entre 1965 et 2003 ont été sélectionnées pour la méta-analyse. (La méta-analyse permet aux chercheurs de combiner et de comparer des données de précédentes études et de dégager des conclusions de cette recherche.)
Dans le cadre de cette méta-analyse, quatre indicateurs de qualité fréquemment rapportés ont été évalués et comprenaient le niveau et la qualité du personnel, la prévalence des plaies de pression ou plaies de lit, l’utilisation de la contention et les lacunes rapportées durant les évaluations gouvernementales des établissements.
Les résultats de la méta-analyse démontrent que la qualité des soins n’est pas simplement liée au statut à but lucratif ou à but non lucratif d’un établissement. Dans 40 des 82 études analysées, les ESLD à but non lucratif obtenaient une meilleure « note », car ces études montraient que les ESLD à but non lucratif prodiguaient des soins de qualité supérieure mesurés par deux des quatre indicateurs de qualité les plus fréquemment rapportés, soit le personnel et la prévalence des plaies de pression ou plaies de lit. De ces 40 études, les établissements à but non lucratif faisaient légèrement mieux (bien que cela ne soit pas statistiquement significatif) par rapport aux deux autres indicateurs les plus souvent utilisés, à savoir l’utilisation de la contention et le nombre de lacunes relevées durant les évaluations réglementaires du gouvernement.
Trois études ont établi que les ESLD à but lucratif obtenaient de meilleurs résultats. Les 39 études restantes faisant partie de la méta-analyse présentaient des résultats moins uniformes, et aucune conclusion claire n’a pu être dégagée quant à savoir si les ESLD à but non lucratif ou à but lucratif obtenaient de meilleurs résultats.
Qu’est-ce qui cloche avec le modèle à but lucratif?
Chaque étude comparant les résultats des établissements à but lucratif et à but non lucratif révèle que les mêmes facteurs produisent de moins bons résultats : des établissements dont l’aménagement est obsolète, des niveaux inférieurs de personnel par résident, moins de temps pour prodiguer des soins par résident, de mauvaises conditions de travail et des salaires très bas, moins d’employés autorisés, plus d’employés occasionnels travaillant à différents endroits, des agences de placement utilisées plus souvent, moins de spécialistes par établissement et plus de résidents par établissement. En moyenne, les établissements à but lucratif ont tendance à présenter au moins certaines de ces caractéristiques, mais elles sont également présentes dans les établissements à but non lucratif.
Que peut-on faire?
Les appels à la « déprivatisation » du secteur des soins de longue durée augmentent, mais les mécanismes pour y parvenir ne sont pas clairs. Le Canada devrait-il nationaliser le secteur et transférer la propriété et la gestion des ESLD à des organismes gouvernementaux? Quel instrument législatif ou politique le gouvernement utiliserait-il pour obliger les propriétaires d’établissements à but lucratif à sortir du secteur? Quelle contestation judiciaire pourrait être entamée ou le serait par les propriétaires d’établissements à but lucratif? Si cela fonctionnait, comment ces transferts de propriété permettraient-ils d’aider à atténuer les facteurs susmentionnés, exactement?
Une législation et une réglementation sur le secteur, associées à d’importantes pénalités et à des mécanismes pour lier le financement et la certification à un ensemble de critères nationaux et à des inspections périodiques, sont plus susceptibles d’avoir des effets bénéfiques durables plus rapidement et plus longtemps sur l’ensemble du secteur, qu’un simple transfert de propriété d’entités à but lucratif à d’autres à but non lucratif. Même si le secteur des ESLD est de compétence provinciale, le gouvernement fédéral pourrait avoir la latitude de modifier la Loi canadienne sur la santé, pour qu’elle comprenne la prestation de soins de longue durée. Les transferts fédéraux pour les ESLD pourraient alors être liés à la législation et à la réglementation provinciales du secteur. Le désir d’obliger les entités à but lucratif à sortir du secteur semble principalement reposer sur un ensemble de valeurs idéologiques, à savoir que personne ne doit faire de profits sur des services sociaux offerts aux personnes les plus vulnérables de notre société.
Il s’agit d’une position légitime, mais elle pourrait ne pas être la meilleure ou la seule façon d’assurer des soins de longue durée sécuritaires. En instaurant des réglementations strictes et des pénalités fermes pour le secteur à l’échelle du pays, on garantirait que les fournisseurs rendent des comptes sur les services qu’ils offrent et les résultats que leurs résidents obtiennent. Si les propriétaires d’établissements à but lucratif respectent ces exigences tout en faisant des profits, il n’y a pas de raison évidente pour laquelle, dans une société de marché libre, ils devraient être forcés à quitter le secteur. D’un autre côté, si le respect de ces exigences affecte la rentabilité des exploitants, ceux qui le faisaient uniquement pour le profit partiront d’eux-mêmes.
Les points de friction concerneront la volonté politique de mettre en oeuvre et de faire respecter les normes, ainsi que de réglementer le secteur avec la rigueur dont il a de toute évidence besoin.