« Un écart entre la reconnaissance et la détermination »

13 décembre 2023
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La plupart des Canadiens sont convaincus que l'activité humaine cause le changement climatique, mais leur volonté d'apporter des changements efficaces n'est pas aussi déterminée.
 

Le changement climatique est à la fois invisible et terriblement évident. 

Selon Erick Lachapelle, « C’est très abstrait. On ne peut pas vraiment voir le changement climatique à partir de ce qui le cause. Les gaz à effet de serre sont en grande partie invisibles. » Pour ce professeur de sciences politiques de l’Université de Montréal qui étudie les attitudes des Canadiens à l’égard du changement climatique depuis une dizaine d’années, « Les répercussions du fait de prendre votre voiture pour aller travailler et de son impact sur le changement climatique sont très éloignées dans le temps et dans l’espace. En raison des importants décalages dans le temps, il est très difficile pour le

Canadien moyen de comprendre et de reconstituer les relations de cause à effet dans le domaine du changement climatique. »

Pourtant, les conséquences du changement climatique n’ont peut-être jamais été aussi inévitables, comme en témoigne cette année marquée par des incendies, des inondations et des canicules sans précédent, ainsi que par des tempêtes « du siècle » de plus en plus fréquentes. La série d’articles sur le changement climatique publiée dans Sage au cours des 18 derniers mois a montré comment les Canadiens de tout le pays sont touchés à l’heure actuelle, alors que des maisons sont réduites en cendres sur une côte et emportées par la mer sur l’autre, que le Nord dégèle et s'assèche, avec une myriade de conséquences pour ceux qui y vivent.

Assurément, les Canadiens sont résolus à changer les choses de toute urgence? 
 
Pas nécessairement. Un fait laisse perplexe : s’il est clair que les opinions des Canadiens sur le changement climatique évoluent en général, un écart entre la reconnaissance et la détermination subsiste.

Dans un sondage en ligne réalisé par Léger en septembre auprès de 1 500 personnes, 72 % des Canadiens se sont dits inquiets ou très inquiets du changement climatique. De plus, si environ 60 % d’entre eux ont déclaré avoir modifié leur comportement d’une manière ou d’une autre, seuls 40 % ont déclaré qu’ils modifieraient leur comportement si cela entraînait « un certain coût financier ».

Les sondages en ligne ne sont pas des plus scientifiques, mais les résultats confirment largement les conclusions de recherches à plus long terme : les Québécois sont généralement plus préoccupés par le changement climatique que les Albertains, par exemple, et les jeunes sont habituellement plus inquiets que les aînés.

Ces différences de conviction de l’urgence du changement climatique et de détermination à y remédier par un changement de comportement individuel varient ainsi d’une côte à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un jeune à un aîné, de la gauche politique à la droite, et dans à peu près tous les autres segments démographiques que l’on peut mesurer.

Les écarts ne sont pas uniformes — un Calgarien, par exemple, peut avoir des opinions plus proches de celles d’un Montréalais que de celles d’un habitant d’une zone rurale de l’Alberta, et un homme âgé peut être d’accord avec un adolescent non binaire, en fonction de l’endroit où il vit ou, peut-être, du politicien qui obtient son vote. (M. Lachapelle précise qu’environ 10 % des Canadiens nient catégoriquement l’existence du changement climatique. « Cette conviction est restée relativement stable au fil du temps », affirme-t-il.)

Où que se trouvent les sceptiques, et quelle que soit la vigueur de leur scepticisme, ils sont étudiés par des chercheurs comme M. Lachapelle, qui veulent dresser un tableau de leurs opinions, et par d’autres, qui veulent changer ces opinions.

M. Lachapelle mentionne que si le nombre de Canadiens qui reconnaissent que « les effets du changement climatique se font sentir ici et maintenant au Canada » a constamment augmenté au cours des dernières années, « la proportion de la population qui estime être personnellement très exposée aux effets du changement climatique est restée stable au fil du temps ».

Il qualifie cela de « distance psychologique du changement climatique » ou de « biais optimiste » (le même raisonnement dont les fumeurs se servent pour croire que « d’autres personnes sont plus susceptibles d’être affectées [qu’eux]) ».

Ce préjugé existe alors même que les bulletins de nouvelles quotidiens sont remplis d’images de Canadiens tués, blessés, sans-abri ou victimes d’événements météorologiques de plus en plus catastrophiques.

On ne peut nier que les dommages causés par les catastrophes naturelles au Canada augmentent. Alors que les chiffres pour 2023 ne sont pas encore connus (mais ils seront probablement élevés), le Bureau d’assurance du Canada a indiqué que les réclamations pour dommages assurés en 2022 ont atteint 3,1 milliards de dollars, ce qui en fait la troisième année la plus coûteuse de notre histoire pour ce type de réclamation. Fait brutal, neuf des dix années les plus riches en sinistres assurés au Canada se sont produites au cours des douze dernières années. Seule 1998, année de l’énorme tempête de verglas qui a frappé l’Ontario et le Québec, figure également sur la liste.

L’année 2022 « a vu des catastrophes dans presque toutes les régions du pays », selon le bureau. « Le Canada est un endroit de plus en plus risqué où vivre, travailler et s’assurer. Les gouvernements ont accordé beaucoup trop peu d’attention à l’adaptation dans le discours sur la politique climatique. » 

Même les actuaires impartiaux tirent la sonnette d’alarme en faveur d’un changement de comportement.

L’incitation à l’action individuelle et locale va de pair avec l’inefficacité des initiatives mondiales qui ont fait l’objet d’une grande publicité. Depuis que les signataires de la convention des Nations unies sur le climat ont commencé à organiser des conférences de parties (COP) en 1995, la quantité moyenne de CO2 dans l’atmosphère est passée de 365 à 420 parties par million. Un autre graphique montre un déclin de la biodiversité mondiale au cours de la même période.

Neil Dawe, qui est membre de Retraités fédéraux, estime que les Canadiens doivent se demander non pas ce qu’il en coûte de changer de comportement, mais ce qu’il en coûte de ne pas changer.

Biologiste et ancien gestionnaire d’habitat et technicien principal de la faune au Service canadien de la faune d’Environnement Canada, M. Dawe est aujourd’hui président bénévole du Qualicum Institute, une organisation à but non lucratif axée sur le développement durable, dont l’objectif est d’« amener une masse critique de personnes à reconnaître les principaux facteurs du changement climatique et à exiger des changements ».

Lorsque M. Dawe parle de « changement », il ne s’agit pas seulement de réduire le nombre de vols aériens ou d’acheter une voiture électrique. Comme des milliers d’autres scientifiques dans le monde, il parle de changements fondamentaux à l’échelle mondiale, notamment d’un passage massif à des régimes alimentaires à base de plantes, et de l’abandon d’une économie fondée sur la consommation et d’une croissance démographique sans fin.

Il rappelle que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a mis en garde contre le fait que « la croissance économique et démographique reste le principal facteur d’augmentation des émissions de CO2 attribuables à la combustion de combustibles fossiles. Entre 2000 et 2010, ces deux facteurs ont dépassé les réductions d’émissions dues à l’amélioration de l’intensité énergétique du produit intérieur brut. »

M. Dawe déclare : « J’ai toujours du mal à saisir pourquoi la plupart des gens n’ont pas encore “compris” les facteurs du changement climatique et que, par conséquent, rien n’est fait pour y remédier. [Ces] facteurs limitatifs... si on n’y remédie pas, ils réduisent à néant, essentiellement, tout ce que nous faisons pour résoudre le problème. Tous les autres efforts seront voués à l’échec. » 

Ce n’est peut-être pas ce que les Canadiens veulent entendre au sujet du changement climatique, même si, chaque année, il leur est plus facile de constater les effets de ce changement.

Erick Lachapelle souhaite que les Canadiens sortent de leur « silence sur le changement climatique » et commencent à en parler à la maison et au sein de leurs groupes sociaux. Selon lui, les jeunes étudiants avec lesquels il travaille à l’université sont plus enclins à parler de la nécessité de modifier leurs comportements personnels pour lutter contre le changement climatique.

« Vous savez, les normes dictent 99 % du comportement humain », déclare-t-il. « Il est difficile de parler du changement climatique, [car] nous ne voulons pas nécessairement faire honte aux gens de notre entourage ou les culpabiliser. Nous ne voulons pas parler d’un phénomène déprimant, car il ne s’agit pas vraiment d’une bonne nouvelle ou d’un sujet heureux. Cela peut nous amener à renoncer à entamer cette conversation dans un contexte social. »

« Ces normes peuvent fonctionner dans les deux sens, et on se demande ce qu’il convient de faire. Lorsque quelques personnes auront lancé le mouvement, de plus en plus de gens pourraient s’impliquer. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'automne 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?