Pas de solutions toutes faites

12 janvier 2024
Stéthoscope posé sur un drapeau canadien.
Sage a demandé à des experts en soins de santé par où ils commenceraient s’ils pouvaient guérir le système de santé canadien d’un coup de baguette magique. En un mot, il n’y a pas de solution magique. 
 

Dans la mythologie grecque antique, Esculape est un guérisseur mortel prolifique. Après sa mort, il ressuscite en tant que dieu de la médecine. On le représente généralement avec un bâton autour duquel s’enroule un serpent, qui est toujours un symbole de la médecine et des soins de santé aujourd’hui. Le lien entre les bâtons et la médecine apparaît également dans d’autres cultures anciennes, qui leur attribuaient souvent des propriétés thérapeutiques. Il n’y a donc qu’un pas entre les bâtons de guérison et les baguettes magiques, qui jouent depuis longtemps un rôle dans la culture populaire, de Homère à Harry Potter. En situation extrêmement délicate, rien de mieux qu’un coup de baguette magique.   

De nos jours, on pourrait vraiment utiliser une baguette magique pour le système de santé canadien.

Les gens qui n’ont pas de médecin de famille. Les longues listes d’attente pour les interventions chirurgicales. Les fermetures de salles d’urgence. Les services de santé mentale inadéquats. Un personnel médical surmené et épuisé. S’il n’est pas moribond, le système de santé canadien est assurément malade. Même le premier ministre Justin Trudeau l’a qualifié de « système défaillant » au début de l’année.  
 

Diverses solutions

Comme on peut s’y attendre de cette présidente de l’Association médicale canadienne et médecin de famille de Coquitlam et New Westminster en Colombie-Britannique, Kathleen Ross s’attaquerait à la pénurie de médecins.

« En tant que médecin de proximité, je vis tous les jours la crise que nous subissons dans le domaine des soins primaires », explique la Dre Ross. « Mon coup de baguette magique augmenterait le nombre de fournisseurs de soins primaires, en particulier les médecins de famille qui oeuvrent en proximité. »  
 
La Dre Ross sait que ce ne sera pas facile, car il faudra former davantage de médecins de famille à ce qu’elle appelle les quatre C des soins primaires : le (premier) contact, la complétude, la continuité et la collaboration. Il faudra recruter davantage de médecins formés à l’étranger et rationaliser le processus d’accréditation pour ceux qui sont déjà ici, tout en empêchant les médecins de famille qui exercent actuellement de quitter le domaine en « examinant la charge administrative, pour tenter de nous assurer de consacrer plus de temps aux patients ».

C’est également l’approche privilégiée par Jane Philpott, qui a travaillé près de 20 ans comme médecin de famille dans la région de Markham-Stouffville, près de Toronto, avant d’occuper le poste de ministre fédérale de la Santé de 2015 à 2017. Aujourd’hui, elle est doyenne de la Faculté des sciences de la santé de l’Université Queen’s à Kingston.

« Je me servirais de ma baguette magique pour que chaque personne vivant au Canada ait accès à une équipe de soins primaires qui lui permettrait de passer la porte d’entrée du système de santé et d’accéder aux soins », déclare Mme Philpott. « Ça, ça aurait un effet d’entraînement sur tout le système. »  
 
Elle reconnaît que nous en sommes « assez loin ».

« Les données les plus récentes indiquent qu’environ 80 % des Canadiens ont au moins un lien technique avec un médecin de famille ou une infirmière de soins primaires », précise Mme Philpott. « Et même dans ce groupe, probablement 30 % sont attachées à un médecin, mais ils ne peuvent pas le consulter. Ainsi, seule la moitié des Canadiens peut régulièrement compter sur un endroit où se faire soigner. »

Selon elle, les soins de santé ne devraient pas être différents de l’éducation en tant que droit fondamental.

« Imaginez l’indignation si nous disions : “Oui, 80 % de nos enfants peuvent fréquenter une école publique. Que les autres se débrouillent tout seuls” », déclare Mme Philpott. « Mais c’est en fait le discours que nous tenons sur les soins primaires. »

Danyaal Raza, membre du groupe de réflexion du Broadbent Institute et médecin de famille à Unity Health Toronto, utilise la même analogie.   

« Il y a des écoles où envoyer votre fils ou votre fille lorsque vous déménagez dans un nouveau quartier », explique le Dr Raza. « Nous pouvons mettre en place un système de soins primaires qui fonctionne de la même manière. »

Il reconnaît que le système de santé traverse une crise. « Ce n’est un secret pour personne : de plus en plus de personnes au pays ont de la difficulté à trouver un médecin de famille et ce problème risque de s’aggraver avant de s’améliorer », ajoute le Dr Raza. « Il y a également des problèmes liés à la privatisation des soins primaires. Nous voyons de grandes entreprises cotées en bourse considérer la médecine familiale et les médecins de famille comme une source de revenus, mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. »

Le Dr Raza ne croit pas à l’argument selon lequel le financement public des soins de santé déraille au Canada.

« Chaque dollar dépensé pour la santé au Canada l’est à 70 % dans le secteur public, et c’est en fait moins que dans de nombreux pays comparables, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France ou la Suède », explique-t-il. « Ils dépensent tous 80 % ou plus et je pense que cela surprend beaucoup de Canadiens. »

Il souligne qu’il n’y a que deux domaines de soins de santé où le Canada offre actuellement un accès universel : les médecins et les hôpitaux.

« Mais nous avons d’énormes problèmes d’accès aux médicaments sur ordonnance, aux services de santé mentale, en particulier ceux des psychologues et les travailleurs sociaux, des soins à domicile et des soins de longue durée », déclare le Dr Raza.

Douglas Angus est professeur émérite à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, où il a passé une grande partie de sa carrière à étudier l’économie de la santé. La crise du système de santé canadien ne le surprend pas.

« Elle allait indéniablement se produire, compte tenu des données démographiques », explique M. Angus.

Le vieillissement de la population a mis à rude épreuve un système conçu pour une population plus jeune. Le besoin de soins pour les malades chroniques, par exemple, a explosé.

Son coup de baguette magique?

« On l’a recommandé d’innombrables fois : renforcer le secteur des soins à domicile. »

M. Angus souhaite qu’on mette l’accent sur le maintien des gens à leur domicile ou sur leur retour à la maison le plus vite possible après une hospitalisation. Cela signifie qu'il faut un mécanisme permettant de tout prévoir, des visites d’infirmières à la livraison de repas. L’une des premières étapes consisterait à rendre la profession des soins à domicile plus attrayante, du point de vue des salaires et des conditions de travail.

Selon M. Angus, cela reviendrait moins cher pour le système, tout en présentant l’avantage supplémentaire de maintenir les gens en meilleure santé.

Mais il n’a pas bon espoir que le Canada connaîtra bientôt des changements, en partie à cause de notre système fédéral où chaque province a son propre système de santé.   

« Nous n’avons pas de système de santé canadien. Nous avons 13 systèmes différents avec des différences importantes », précise M. Angus.   

Il ne s’attend donc pas à des miracles par rapport à ces changements nécessaires.

« Il n’y a pas de solution rapide, c’est ce qui est triste », dit-il, déplorant l’absence de planification à long terme. « C’est tellement ancré dans le système politique que les politiciens ne voient pas plus loin que les prochaines élections. »

Louis P. Perrault, chirurgien cardiovasculaire à Montréal et président de l’Association des chirurgiens cardiovasculaires et thoraciques du Québec, n’hésite pas à parler de la nécessité d’augmenter le financement du système, après avoir vu certains collègues s’épuiser pendant la pandémie, tandis que d’autres partaient aux États- Unis et ailleurs.

Mais la solution ne consiste pas seulement à injecter de l’argent dans le système. S’il avait une baguette magique, il veillerait à ce que tous collaborent à l’amélioration du système de soins de santé : les gouvernements, les administrateurs d’hôpitaux et les cliniciens.

« Je transformerais le système de santé en un système rapide, bien financé, bienveillant, centré sur le patient, humain et personnalisé qui [respecte la diversité et les individus] et offre un environnement attrayant, stimulant, gratifiant, décemment rémunéré et conscient de l’individu, pour tous les fournisseurs de soins de santé travaillent en équipe multidisciplinaire collaborative », déclare M. Perrault, ajoutant que l’accent serait mis sur la prévention et le traitement pour « tous les Canadiens et leurs familles, indépendamment de leur capacité à payer ou de leurs relations ».   
Michael Gardam reconnaît que le système de santé a besoin d’être réparé.

De l’avis de ce directeur général de la régie Santé Î.-P.-É. et président de SoinSantéCAN, qui se présente comme la voix nationale des hôpitaux et des organisations de soins de santé, « le système était déjà défaillant avant la pandémie, mais celle-ci l’a révélé de manière flagrante ».   

Sa baguette magique imposerait une refonte complète au système de santé canadien.

« Je pense que nous avons connu plusieurs décennies d’expansions et de solutions de fortune, à l’aide de ruban adhésif pour qu’elles tiennent en place », estime M. Gardam. « Le système de santé dans lequel l’assurance-maladie a été mise en oeuvre dans les années 60 n’a rien à voir avec notre système de santé actuel, mais nous avons, en quelque sorte, refusé de revenir en arrière et d’examiner ces idées initiales, parce que nous n’avons tout simplement pas le droit de le faire au Canada. Les soins de santé sont, en quelque sorte, considérés comme une chose absolument sacrée. »  

Selon lui, il peut être utile d’essayer de nouvelles approches, même si elles ne fonctionnent pas. Il cite l’exemple du Québec, qui a expérimenté des cliniques chirurgicales privées.  

« Ils ont découvert qu’elles coûtaient plus cher », souligne M. Gardam. « Ils les ont étudiées, et elles ne nous permettent pas d’économiser de l’argent. Ce n’est pas un échec. Nous avons appris quelque chose et nous pouvons continuer. »

Il arrive trop souvent, dit-il, que la politique fasse obstacle aux réformes nécessaires.

« Les politiciens s’inquiètent, la population locale s’inquiète. Ne m’enlevez pas mes [services] locaux, quels qu’ils soient. Nous devons nous demander si nous pouvons nous payer ces [services] locaux. »

M. Gardam pense qu’il est temps de tenir une « conversation difficile » sur les services qui devraient être assurés et sur l’endroit où ils devraient être fournis. Même dans sa petite province de l’Île-du-Prince-Édouard, où la plupart des gens vivent à moins d’une heure de Charlottetown, on débat de la question de savoir si les gens devraient pouvoir obtenir des services plus près de leur communauté.

Shawn Whatley est lui aussi convaincu qu’il faut repenser l’ensemble du système de santé canadien et s’attaquer à certaines vaches sacrées. En 2020, ce médecin de la région de Toronto et ancien président de l’Ontario Medical Association a publié un livre intitulé When Politics Comes Before Patients : Why and How Canadian Medicare is Failing. Il attribue l'échec de l'assurance-maladie canadienne au fait que la politique passe avant les patients.  

Comme ce titre l’évoque, le Dr Whatley estime que l’un des principaux problèmes du système est que les politiciens ne cessent de le modifier pour des raisons politiques. Ils ont perdu de vue la raison d’être de l’assurance-maladie en se concentrant sur la distribution « équitable » des soins, plutôt que sur la prestation des soins nécessaires.

Selon le Dr Whatley, pour remédier au système, la première étape consiste à demander aux Canadiens ce qu’ils veulent.   
« La plupart des gens à qui je parle — et je parle surtout à des patients — diraient : “Nous avons besoin d’une assurance-maladie qui me permet de recevoir des soins sans avoir à les payer quand je suis malade” ».

Le Dr Whatley estime que des discussions difficiles sur le niveau de soins approprié s’imposent.

« Envisagent-ils de demander un troisième avis pour leur douleur antérieure du genou? La douleur antérieure du genou est le fléau de l’existence d’un chirurgien orthopédique. Nous ne pouvons rien faire pour cela, nous ne devrions pas demander d’IRM pour cela et, pourtant, les patients se présenteront continuellement pour en obtenir, tout en demandant ceci et cela. En consultation, vous vous dites que vous ne pouvez rien faire pour eux, mais comme les soins de santé sont gratuits, nous leur ferons passer des tests. »

Ce qui donne de l’optimisme au Dr Whatley, c’est le fait que les Canadiens — même les politiciens — reconnaissent maintenant que le système a besoin d’une restructuration majeure.  

Les changements vont demander beaucoup de travail et de questionnement.

À son avis, « l’une des solutions magiques consiste à cesser de demander des solutions magiques »  
 

Cet article a été publié dans le numéro du l'automne 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?