Inverser votre fortune

02 janvier 2020
Un couple debout devant une maison

Michelle et Pierre Tremblay ressemblent à bien d’autres couples retraités au Canada. Ils possèdent une maison, mais manquent de liquidités. Ils vivent des prestations de la Sécurité de la vieillesse et du RPC, en plus d’une petite pension privée et d’un revenu que Mme Tremblay gagne à temps partiel.

Pour obtenir une marge de manœuvre financière, le couple (dont le nom a été modifié pour cet article) a contracté un prêt hypothécaire inversé il y a cinq ans, profitant de la valeur nette de sa résidence principale, une propriété riveraine de 500 000 $ à l’est de Toronto qu’ils possédaient depuis des dizaines d’années. Ils ont également une propriété locative dans laquelle un proche habite.

Mme Tremblay, qui est septuagénaire, a travaillé dans le secteur de la finance et comprend les prêts hypothécaires. Elle aimait l’idée d’un prêt hypothécaire inversé, car il réduirait la pression sur leurs liquidités et leur permettrait de rester plus longtemps dans leur maison.

Ils ont utilisé le produit pour rembourser le prêt hypothécaire de leur propriété principale. Ils ont éliminé leur paiement mensuel, car en vertu d’un prêt hypothécaire inversé, il n’est pas nécessaire de payer le capital ni l’intérêt. L’intérêt s’accumule plutôt pendant la durée du prêt. « C’est comme recevoir un autre chèque de paie », affirme Mme Tremblay. De plus, ajoute-t-elle, grâce à l’augmentation des prix des maisons, la valeur de leur résidence principale a dépassé le montant de l’intérêt accumulé sur le prêt. « Nous pensions que cela fonctionnerait pour nous, et ce fut le cas. »

Les Tremblay font partie d’un nombre croissant de retraités qui se tournent vers les prêts hypothécaires inversés pour tirer profit de leur actif existant et vivre confortablement. « Il y a tellement de millionnaires pauvres dans la vallée du bas Fraser (en C.-B.), des couples qui survivent grâce aux prestations du Régime de pensions du Canada et de la SV, mais qui n’ont pas d’autres pensions », observe Richard Middleton, conseiller en sécurité financière et représentant en placements à la Financière Liberté 55 à Vancouver, qui suggère des prêts hypothécaires inversés lorsqu’il aide ses clients à gérer leur argent. « Il s’agit d’une stratégie de réduction des risques, diminuant les risques pour l’ensemble de votre portefeuille », explique-t-il, définissant le prêt hypothécaire inversé comme une forme d’« hypothèque rechargeable » qui peut être utilisée pour financer l’écart de revenu d’un client ou pour investir dans des actifs autres qu’immobiliers. « Cela représente un moyen de diversifier les actifs et de combler un écart de revenu en enlevant un peu de beurre de sur le pain. »

La hausse des prix des propriétés et le vieillissement de la population au Canada alimentent l’engouement pour les prêts hypothécaires inversés. Selon l’agence de presse Bloomberg, en juin 2019, le montant que les Canadiens devaient sur des prêts hypothécaires inversés s’élevait à 3,12 milliards $, le double d’il y a quatre ans. Shannon Patterson, une courtière immobilière indépendante de Vancouver travaillant pour le VINE Group appartenant à la Mortgage Alliance, a été témoin de cette augmentation. « Cette année, je suis en voie d’en faire 15 », mentionne Mme Patterson, en parlant des prêts hypothécaires inversés. « Leur nombre augmente chaque année. » 

Au Canada, il est possible de contracter un prêt hypothécaire inversé depuis plus de 30 ans. À l’heure actuelle, il y a deux fournisseurs : la Banque HomeEquity, qui a vu le jour il y a 33 ans et a la part du lion du marché avec son prêt hypothécaire inversé CHIP, et la Banque Équitable, qui est entrée sur le marché des prêts hypothécaires inversés il y a quelques années et qui offre des produits en Alberta, en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec. Il s’agit de deux banques nationales assujetties à la Loi sur les banques, et elles sont surveillées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), qui supervise également les six grandes banques du Canada.


Les prêts hypothécaires inversés« Représente un moyen de diversifier les actifs et de combler un écart de revenu en enlevant un peu de beurre de sur le pain. » — Richard Middleton


La Banque HomeEquity se concentre seulement sur les prêts hypothécaires inversés et, à la fin août, un actif se chiffrant à près de 4 milliards $ figurait sur son bilan, selon le BSIF. La Banque Équitable est un autre prêteur qui offre des prêts hypothécaires inversés, des prêts résidentiels et commerciaux, des marges de crédit et des dépôts à terme. Selon le BSIF, la Banque Équitable avait un actif de plus de 27 milliards $ à la fin août.

Paul von Martels, vice-président, prêts hypothécaires traditionnels et inversés à la Banque Équitable, explique que sa société a été attirée par le marché des prêts hypothécaires inversés en raison de la population vieillissante du Canada et du fait qu’elle est une prêteuse « spécialisée » ayant de l’expertise dans l’offre de produits financiers à des marchés mal servis. « Il y a un grand marché ici », souligne-t-il, ajoutant que les aînés prennent leur retraite en étant plus endettés. La proportion de retraités canadiens faisant des paiements hypothécaires a augmenté à 20 % en 2018, fait-il remarquer. Yvonne Ziomecki, vice-présidente externe, marketing et ventes à la Banque HomeEquity, déclare qu’un plus grand nombre d’aînés atteignent l’âge de la retraite sans avoir assez épargné. Elle cite un sondage qui indique que la moitié des Canadiens de 65 ans et plus ont des épargnes n’atteignant que 100 000 $.

Cependant, plus de 93 % des Canadiens affirment vouloir « vieillir chez eux » et rester dans la maison où ils habitent. Un prêt hypothécaire inversé peut faire en sorte que cela soit possible.

Comment un prêt hypothécaire inversé fonctionne-t-il donc? Il y a un certain nombre de règles.

  • Vous devez être âgé d’au moins 55 ans et être propriétaire.
  • Il doit également s’agir de votre résidence principale.
  • Le montant auquel vous êtes admissible se calcule selon le rapport prêt/valeur (RPV).

Le RPV est exprimé en pourcentage du montant prêté par rapport à la valeur estimative de la maison. Le montant maximum que la Banque HomeEquity prête correspond à 55 % de la valeur de la maison, alors que le taux maximal de la Banque Équitable est de 40 %, cependant pour les clients les plus âgés seulement. Plus vous êtes jeune, moins le montant que vous pourrez emprunter sera élevé. Si un couple demande un prêt hypothécaire inversé, son montant est basé sur l’âge de la personne la plus jeune.

Les prêts hypothécaires inversés fonctionnent comme une marge de crédit hypothécaire. Toutefois, au lieu de payer des intérêts chaque mois, aucun paiement n’est requis, même si vous pouvez habituellement rembourser le prêt sans pénalité. Pour garantir le prêt, la banque impute des dépenses à la maison comme pour un prêt hypothécaire traditionnel, mais ne les recouvre qu’au moment de votre décès, de votre déménagement ou de la vente de la propriété. Si l’un des conjoints décède, l’autre peut rester dans la maison à condition d’avoir été inclus dans la demande de prêt, d’où l’importance que les deux conjoints fassent la demande. Les prêts hypothécaires inversés ont cependant des conditions similaires à celles des prêts hypothécaires traditionnels. À titre de propriétaire, vous devez vous assurer d’entretenir la propriété et d’éviter qu’elle se délabre, de l’assurer de manière appropriée et de payer l’impôt foncier. Ne pas respecter ces obligations pourrait entraîner un manquement à l’accord de prêt et provoquer la vente de la maison. De plus, les prêts hypothécaires inversés peuvent être limités sur le plan géographique et ont tendance à être octroyés surtout dans de grands centres urbains.

Il s’agit toutefois d’un produit souple. Vous pouvez prendre un montant forfaitaire ou recevoir des versements; les intérêts ne s’accumulent que par rapport au montant retiré.

Ces prêts sont non amortis, ce qui signifie qu’ils ne s’étendent pas sur un terme de 20 ou de 25 ans. Le taux d’intérêt est plutôt rajusté périodiquement. Par exemple, vous pourriez choisir un taux d’un, de trois ou de cinq ans, ou un taux variable. Comme vous ne remboursez pas le prêt, la banque prend un plus grand risque; les taux d’intérêt sont donc plus élevés, jusqu’à entre un et deux points de pourcentage. Par exemple, en octobre, les taux des prêts hypothécaires inversés étaient d’environ 5,5 % pour un taux de cinq ans, alors que celui d’un prêt hypothécaire fermé traditionnel de cinq ans était d’environ 3 %.

En outre, comme vous ne faites pas de paiements, l’intérêt sur le prêt s’accumule avec le temps et est ajouté au montant du capital, des intérêts sur des intérêts vous sont donc facturés.

Vous avez par contre une certaine tranquillité d’esprit. Les prêts hypothécaires inversés ont une « garantie de valeur nette négative », explique M. von Martels. Il s’agit de « prêts sans recours », ajoute-t-il; donc, si les prix des maisons s’effondrent ou si vous survivez au barème de taux de mortalité du prêteur et que le prêt dépasse soudainement la valeur de la propriété, la banque ne peut pas vous mettre à la porte de votre maison ni la saisir, à moins que vous ayez manqué à une condition. Si la maison est vendue à un prix inférieur au prêt, la banque n’obtient que sa juste valeur marchande et ne peut pas vous poursuivre pour le montant restant. Si une maison est vendue, tout solde restant après le remboursement du prêt va à l’emprunteur ou à sa succession.

Cependant, la probabilité que le prêt dépasse la valeur de la maison est faible, selon Mme Ziomecki de la Banque HomeEquity. Habituellement, le RPV est d’environ 30 %. « Les gens ne prennent pas le maximum. » Elle précise que l’âge moyen d’un client de la Banque HomeEquity est de 72 ans et que le montant du prêt hypothécaire est de 170 000 $. À la Banque Équitable, la moyenne d’âge pour un prêt hypothécaire est de 75 à 85 ans, et les prêts hypothécaires se chiffrent habituellement entre 200 000 $ et 300 000 $.

M. Middleton mentionne que les « prêteurs canadiens offrant des prêts hypothécaires inversés sont extrêmement prudents. Ils ne mettent pas tout sur un prêt. Le rapport prêt/ valeur selon lequel ils prêtent est bas. Je n’ai jamais fait de prêt hypothécaire inversé pour un RPV de plus de 31 ou de 32 %. »

De plus, la valeur d’une maison augmente avec le temps, habituellement. La Banque HomeEquity a fourni le scénario d’une maison de 500 000 $ qui a généré un prêt hypothécaire inversé de 170 000 $, laissant une valeur nette de 330 000 $. Après 10 ans, le montant dû augmente à 298 652 $. Cependant, la valeur de la maison s’est aussi accrue à 671 958 $, selon un taux d’appréciation de 3 %. Même après 10 ans, la valeur nette de la maison du client serait encore de 373 306 $.

Les prêts hypothécaires inversés vont à l’encontre de la planification financière traditionnelle, qui consiste à prendre sa retraite sans dette, observe Adrian Mastracci, un gestionnaire de portefeuille discrétionnaire chez Lycos Asset Management Inc., à Vancouver. « Ces choses sont dispendieuses. Vous engagez des frais d’intérêt », dit-il, ce qui peut « vous mettre dans une situation très précaire dont il peut ne pas être facile de sortir. » Il recommande d’autres stratégies, comme réduire ses dépenses ou trouver une option de financement plus abordable, comme une marge de crédit garantie ou un prêt hypothécaire traditionnel.

Cela comporte toutefois tout de même un paiement mensuel et n’est pas toujours offert aux aînés, particulièrement avec les simulations de crise pour les prêts hypothécaires, fait remarquer la courtière immobilière Mme Partterson. Le financement traditionnel est basé sur le revenu, et les aînés ne se qualifient pas toujours pour celui-ci, expliquet-elle. De plus, les produits comme les marges de crédit sont vraiment des prêts à vue dont on peut faire la demande en tout temps, y compris après le décès d’un conjoint ou d’une conjointe. Le survivant pourrait devoir se qualifier de nouveau, mentionne-t-elle. « C’est stressant. »

Les experts affirment qu’il y a de nombreuses raisons pour lesquelles des aînés désirent utiliser un prêt hypothécaire inversé. Ils peuvent devoir faire des rénovations pour adapter leur maison à leur vieillissement, comme des rampes ou des cadres de porte plus larges pour les fauteuils roulants, les scooters ou les déambulateurs, pour changer la toiture de la maison ou réparer une cuisine ou une salle de bain. Mme Patterson souligne que les prêts hypothécaires inversés sont libres d’impôt. Si un aîné devait payer pour apporter de telles améliorations à ses immobilisations, en retirant une somme forfaitaire de son REER, il serait imposé. De plus, cela pourrait le faire passer à une tranche d’imposition supérieure l’année suivante.

Bien entendu, les aînés pourraient toujours réduire la taille de leur maison, en acheter une moins chère et encaisser le produit de la vente. Cependant, dans ce marché où les prix sont élevés, ce n’est pas facile à faire, rapportent les experts. En outre, il y a les frais de clôture, les commissions de courtage et les frais de déménagement qui doivent être déduits du produit de la vente. On peut aussi acheter plus petit et contracter un prêt hypothécaire inversé pour la nouvelle propriété, ce qui peut faire augmenter le montant que vous recevez.

Comme tout produit financier, les prêts hypothécaires inversés comportent des frais, d’environ 2 000 $ selon l’institution financière retenue. Cela couvre des frais comme les coûts de création du dossier du prêt hypothécaire, les frais juridiques et l’évaluation de la maison, qui peuvent être payés à partir du produit.

Selon Mme Tremblay, « Il faut accepter un taux d’intérêt un peu plus élevé, mais vous investissez dans la valeur nette de votre maison. Vous avez une longueur d’avance, et votre maison possède encore beaucoup de valeur. »

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2019 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!