Réparer les torts historiques

18 septembre 2019
718 anciens militaires, fonctionnaires et employés de la GRC ont déposé une demande de compensation pour la purge LGB
Photo : Mitchel Raphae
 

 

Un lundi matin ordinaire de juin 1985, le sergent-chef Wayne Davis a été convoqué dans le bureau de son commandant au quartier général ontarien de la Gendarmerie royale du Canada, à Toronto.

« Ils m’ont simplement convoqué dans les bureaux et m’ont dit : "On vous a vu dans un bar gai la fin de semaine dernière. Pourquoi étiez-vous là?" J’étais fatigué de tout ça, fatigué de cacher mon homosexualité, fatigué de surveiller mes arrières tout le temps. Je n’avais pas d’énergie pour ça. Alors je leur ai dit que j’étais dans un bar gai parce que je suis gai. Et ils m’ont répondu : "Bien, comme notre politique est de ne pas avoir de gais à la GRC, vous pouvez démissionner ou être congédié". Point final. »

À l’époque, M. Davis avait choisi de démissionner pour préserver sa dignité. Il a quitté le bureau et mis un terme à ses 17 ans de carrière à la GRC cet après-midi-là. Contrairement à de nombreux autres membres de la fonction publique et des Forces armées qui ont perdu leur emploi entre les années 1960 et 1990 en raison de leur sexualité ou de leur sexualité présumée, M. Davis explique qu’il n’avait probablement pas été suivi ni fait l’objet d’une enquête, mais qu’il s’est fait prendre lorsque des collègues de la GRC l’ont vu et reconnu alors qu’ils effectuaient une descente de police standard dans les bars de Toronto cette fin de semaine là.

« J’ai toujours voulu croire que ce n’était qu’une discussion à la pause-café qui est remontée jusqu’à mes supérieurs et que, une fois arrivée au sommet de la hiérarchie, ils n’avaient plus d’autre choix. Je frémis à l’idée que l’une de mes connaissances soit arrivée au bureau lundi matin et se soit précipitée pour dire au commandant qu’on m’avait vu dans un bar gai et qu’il valait mieux qu’on se débarrasse de moi. J’aime donc croire à cette histoire, ça m’aide à gérer. »

M. Davis admet que son histoire est on ne peut plus claire. Il faisait partie de l’équipe, puis on l’a mis dehors. Mais des centaines, voire des milliers d’autres membres des Forces armées canadiennes (FAC), de la GRC et de la fonction publique fédérale n’ont pas eu cette chance lorsqu’ils ont été pris dans ce qu’on appelle désormais la purge LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres).
 

La Purge

Jusqu’au début des années 1990, peu de Canadiens soupçonnaient leur gouvernement de se livrer à une discrimination systématique contre les homosexuels, lesquels étaient considérés par l’appareil de sécurité du gouvernement comme souffrant d’une «faiblesse de caractère» qui les exposait à un risque de chantage de la part d’agents «ennemis». Un reportage publié en 1992 par le journaliste de la Presse canadienne Dean Beeby, à la suite de la publication de documents gouvernementaux explosifs, a montré que la GRC avait, en 1959, «lancéune gigantesque chasse aux hommes homosexuels» à Ottawa. La «chasse» a forcé de nombreux fonctionnaires à vivre une double vie de peur d’être sanctionnés, licenciés, transférés ou privés de possibilités. La GRC les a surveillés et interrogés — ainsi que leur famille, bien souvent —, dans le but d’obtenir les noms d’autres homosexuels présumés.

Jusqu’à la fin des années 1990, les jeunes hommes et les jeunes femmes des Forces armées canadiennes (FAC) soupçonnés d’homosexualité étaient harcelés, faisaient l’objet d’enquêtes et étaient souvent embarqués de force au milieu de la nuit, branchés à des détecteurs de mensonges et interrogés pendant des jours dans des endroits obscurs par des membres de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) de la police militaire. À la suite de ces interrogatoires invasifs et traumatisants, bon nombre d’entre eux — en vertu de l’Ordonnance administrative des Forces canadiennes (OAFC) 19-20 intitulée Homosexualité — Enquêtes sur la déviation sexuelle (Examen médical et mesures à prendre) — ont été renvoyés des FAC. Avant même d’avoir vraiment commencé, leur carrière et leur vie ont été ruinées.

Pendant des décennies, quelques personnes courageuses ont tenté par elles-mêmes de demander réparation ou d’obtenir des excuses ou des réponses du gouvernement et des militaires, mais en vain.

La première à contester ouvertement son expulsion des forces armées parce qu’elle était lesbienne a été Barbara Thornborrow. En mai 1977, elle a fait l’objet d’une enquête de l’UES et a reçu un ultimatum lui intimant d’admettre qu’elle était homosexuelle, entraînant de facto son expulsion, ou d’accepter de voir un psychiatre. Elle a refusé et a rendu son cas public, notamment en se présentant sur la Colline du Parlement lors des audiences relatives à la Loi sur les droits de la personne. Peu de temps après, Mme Thornborrow a été congédiée parce qu’elle «ne pouvait être employée avantageusement», une mention inscrite fréquemment sur les documents officiels de démobilisation dans ces cas-là. Un groupe de lesbiennes de la Marine de TerreNeuve a également été purgé cette année-là. Malgré la publicité entourant ces événements, rien n’a changé.

Martine Roy a été soumise à de multiples interrogatoires humiliants et dégradants de la part de l’UES et a été bercée de faux espoirs pendant des années jusqu’au jour où, en décembre 1984, elle a été convoquée au bureau de la base des FAC Borden, où elle suivait une formation pour devenir adjointe médicale, pour se faire dire qu’elle avait neuf jours pour faire ses valises et s’en aller. On lui a dit qu’elle était une déviante sexuelle et qu’elle était démobilisée pour cause d’homosexualité. Mme Roy est rentrée chez elle, au Québec, brisée. Pendant des années, elle a lutté contre la toxicomanie, a suivi une thérapie intensive, a eu de la difficulté à maintenir des relations et a vécu dans un état constant d’anxiété et de peur d’être rejetée au seul motif qu’elle était elle-même.

Todd Ross s’est enrôlé dans la Marine canadienne en décembre 1987, à l’âge de 18 ans, et a servi à bord du NCSM Saskatchewan en qualité d’opérateur d’équipement d’informations de combat (Marine). À partir de janvier 1989, il a lui aussi fait l’objet d’une enquête de l’UES. Après 18 mois d’enquête, en sanglotant et branché à un détecteur de mensonges, toujours un peu dans le déni de sa propre sexualité, M. Ross a admis qu’il était gai. Âgé de seulement 21 ans et ne voyant pas d’autre issue, M. Ross a accepté de quitter la marine et a été démobilisé le 20 juin 1990. Traumatisé, honteux et seul, il a ensuite tenté de mettre fin à ses jours.

La campagne de sécurité nationale contre les membres LGBT de la fonction publique s’est assouplie au milieu des années 1980, mais les injustices qui ont mis fin à bon nombre de carrières se sont poursuivies dans l’armée pendant une autre décennie. C’est finalement par l’entremise de Michelle Douglas — une jeune lieutenante prometteuse de l’armée de l’air et la deuxième femme seulement à intégrer l’unité de la police militaire qui, ironiquement, menait les enquêtes relatives à la purge — que les politiques militaires ont finalement été modifiées. Soupçonnée d’être homosexuelle, Mme Douglas a été emmenée, comme d’autres, dans un site non militaire pour y être interrogée par deux agents de l’UES. En 1989, après plusieurs jours d’interrogatoires intensifs et de tests polygraphiques, elle a admis qu’elle était lesbienne. Son habilitation de sécurité a alors été révoquée et on l’a forcée à quitter l’armée au motif, encore une fois, qu’elle «ne pouvait être employée avantageusement». Avec l’aide du député Svend Robinson et de l’avocat Clayton Ruby, elle a poursuivi les militaires pour violation de ses droits garantis par la Charte. La veille de son procès devant la Cour fédérale, le gouvernement a conclu un accord avec Mme Douglas pour la somme de 100 000 $. Confrontée à ce procès, l’armée a finalement révoqué en 1992 l’OAFC 19-20, sa politique de bannissement des homosexuels. Plusieurs poursuites similaires ont fait l’objet d’un règlement en toute discrétion l’année suivante. Le gouvernement ne s’est jamais excusé auprès des plaignants et ne leur a jamais proposé de dédommagement quelconque.

En 1992, les gais et lesbiennes avaient de nouveau le droit de servir dans l’armée (quelques années plus tôt, des changements avaient été apportés afin que les soldats LGBT ne puissent pas être renvoyés, mais il leur était toujours impossible de suivre une formation ou d’obtenir une promotion s’ils restaient), mais de nombreuses années s’écouleront avant qu’ils ne puissent dévoiler leur sexualité sans craindre de représailles.

Après avoir été expulsé de la GRC parce qu’il était homosexuel, M. Davis a poursuivi une longue carrière dans la fonction publique fédérale. Les gens qui l’ont embauché pour la première fois au gouvernement savaient qu’il était homosexuel mais, officiellement, la fonction publique n’avait aucune politique interdisant d’employer des gais et des lesbiennes. Au cours de ses 35 années au service du gouvernement, M. Davis dit n’avoir jamais été harcelé. «C’est peut-être parce que je n’ai jamais travaillé sur le terrain. Le fait que j’étais le patron la plupart du temps a probablement créé une certaine distance... J’étais surtout en position de contrôle, je contrôlais vos ressources humaines ou vos finances.»

D’autres n’ont pas eu cette chance et estiment que les idées reçues quant à leur orientation sexuelle ont mis un frein à leur carrière. L’ancien avocat du ministère de la Justice, Mark Berlin, raconte que bien qu’il ait occupé «de bons emplois, à mon avis... J’ai cru pendant de nombreuses années, et c’est toujours le cas aujourd’hui, que certaines possibilités et certains postes ne m’étaient pas offerts au seul motif que j’étais gai.»

Une ancienne agente de l’Agence des services frontaliers du Canada dans les Maritimes — qui préfère rester anonyme — a été victime de brimades, de mauvais traitements et de harcèlement sexuel de la part de ses collègues et patrons pendant plus de 30 ans. Au début de 2016, son médecin a diagnostiqué un trouble de stress posttraumatique (TSPT) et lui a conseillé de ne pas retourner au travail. Après avoir réalisé qu’elle pourrait partir avec une retraite partielle et qu’elle ne voulait plus évoluer dans cet environnement toxique, elle a pris sa décision : «J’en ai assez. Je vais prendre ma retraite et passer à autre chose. Et c’est ce que j’essaie de faire.» Elle déclare avoir conservé ce poste aussi longtemps parce qu’il y avait très peu de postes bien rémunérés dans la région et qu’elle avait besoin d’argent pour s’occuper de ses parents âgés. Elle n’a jamais «divulgué» son orientation sexuelle, mais cela n’a pas empêché les mauvais traitements et les idées reçues à son endroit, ce qui, à ses yeux, l’a empêchée de progresser dans sa carrière.
 

Le Recours Electif

Pendant des décennies, des individus et divers groupes ont tenté de demander réparation et d’obtenir des explications et des excuses pour la façon dont ils ont été traités. Malgré un grand nombre d’obstacles et de complications, un recours collectif contre le gouvernement du Canada a finalement été intenté en mars 2017 par Martine Roy, Todd Ross et Alida Satalic, tous trois d’anciens membres des FAC, en qualité de représentants des demandeurs. Les avocats qui ont participé aux négociations ont fait remarquer que le gouvernement Trudeau cherchait déjà à redresser les torts historiques, notamment en modifiant le Code criminel et en annulant d’anciennes condamnations. De plus, le gouvernement fédéral avait mis sur pied un nouveau secrétariat LGBTQ2 au sein du Bureau du Conseil privé et nommé le député Randy Boissonnault au poste de conseiller spécial auprès du premier ministre Justin Trudeau relativement au champ complet des enjeux LGBTQ2, et ce, tout en travaillant sur des excuses officielles pour les discriminations historiques pratiquées par l’État. Ainsi, le recours collectif a été réglé relativement rapidement et a eu des résultats positifs, aussi bien pour les membres du groupe que pour le gouvernement. La Cour fédérale a approuvé le règlement final en juin 2018.

Ce règlement de 145 millions de dollars visant à réparer les torts historiques causés à la communauté LGBT est le plus important au monde. Unique et à dimensions multiples, il pouvait toucher des milliers de fonctionnaires et de membres des FAC et de la GRC victimes de discrimination, persécutés ou congédiés entre 1955 et 1996 en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée. Le délai de dépôt des demandes est arrivé à échéance en avril 2019. Le nombre final de demandeurs s’est établi à 718. La grande majorité d’entre eux appartenaient aux FAC, 78 à la fonction publique et seulement 12 à la GRC. Les chiffres semblent bas, selon M. Davis, car les premières estimations étaient que la purge a probablement touché environ 9 000 personnes. «Mais beaucoup de gens sont morts du sida ou ont de nouveau caché leur homosexualité et ne suivent pas ces dossiers. Je ne dis pas que nous sommes déçus, mais les chiffres semblent faibles pour 40 ans de discrimination», ajoutet-il. Le montant de l’indemnisation versée à la plupart des membres du groupe se situera entre 5 000 $ et 50 000 $ et, dans les cas les plus flagrants, pourra atteindre 125 000 $.

Les dossiers sans appel comme celui de M. Davis ont pour la plupart été réglés, mais les demandes plus complexes qui comprenaient des agressions sexuelles ou physiques, ainsi que des préjudices psychologiques, sont toujours en cours d’examen par l’ancienne juge de la Cour suprême du Canada Marie DesChamps. «Je n’ai pas de chiffres précis, mais un pourcentage très élevé de plaignants ont déposé une demande d’indemnité de niveau 3, ce qui signifie qu’ils ont été congédiés ou forcés à démissionner», observe Douglas Elliott, avocat du groupe. «Un pourcentage élevé de plaignants ont déposé une demande d’indemnité de niveau 4, ce qui implique une agression sexuelle ou d’un autre ordre, ou un préjudice psychologique exceptionnel.»

LES EXCUSES DU PM
QUELQUES RÉFLEXIONS APRÈS 2017

La veille de la présentation des excuses du premier ministre Justin Trudeau le 28 novembre 2017, les avocats des demandeurs ont organisé une réception pour les membres du recours collectif, à l’hôtel Lord Elgin à Ottawa. «Ce fut un événement très émouvant», se souvient l’avocat Douglas Elliott. «La plupart de ces personnes ne s’étaient jamais rencontrées auparavant. Le colonel [à la retraite Michel] Drapeau, qui nous aidait, m’a fait cette remarque : “Je n’ai jamais vu autant de gens brisés” et j’ai mentionné à mon ami Todd Ross qu’on aurait dit que la pièce était pleine de fantômes parce que c’était surtout des femmes... et [les séquelles de] l’épidémie du sida étaient manifestes, parce que bien sûr, pendant toutes ces années, la plupart des employés du gouvernement étaient des hommes. Et pourtant, il y avait surtout des femmes dans cette pièce.»


« Pour l’oppression des communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers et bi-spirituelles, nous présentons nos excuses. Au nom du gouvernement, du Parlement et de la population du Canada : nous avions tort. Nous sommes désolés. Et plus jamais nous ne permettrons que ces gestes se produisent.»

— Le premier ministre Justin Trudeau, Chambre des communes, Ottawa, 28 novembre 2017 [texte intégral des excuses]


« [Ce fut] probablement l’expérience la plus touchante de ma vie... Je n’ai pas eu d’excuses. À mon avis, “Ce qui est fait est fait. On passe à autre chose.” Mais je peux vous dire que, si vous avez été touché par l’injustice, ces excuses prennent pleinement leur sens... Cela a certainement changé mon opinion sur la raison pour laquelle nous devons présenter des excuses pour des gestes injustement commis dans le passé. »

— Wayne Davis, ancien agent de la GRC


«De toute ma vie, [les] deux seuls endroits où je me suis sentie vraiment acceptées pour qui je suis sans avoir à prétendre ont été [ma nouvelle] église et la Chambre des communes. Je me sentais comme tout le monde, nous étions tous égaux. Je n’ai jamais ressenti cela avant.»  

— Ancienne agente de l’Agence des services frontaliers du Canada


« Le plus beau jour de ma vie. Vous savez, quand vous travaillez si dur et qu’ensuite, [vous pensez que des résultats] vont se produire en tout ou en partie et qu’ils se produisent... Ce fut un moment que je n’oublierai jamais, dont je suis très fière. Et je suis très heureuse que [les excuses] ont été présentées par Justin Trudeau et non par Harper ou qui que ce soit d’autre. Cela m’a vraiment aidée à me rétablir et à éliminer cette honte que je ressentais encore... ce sentiment [d’être une] imposteur que j’ai ressenti toute ma vie.»

— Martine Roy, militante pour les droits des LGBTQ2 Ancienne membre  des Forces armées canadiennes

Au-delà De La Compensation Financière 

Dès le début, les membres du recours collectif avaient besoin que l’injustice qu’ils avaient subie soit reconnue. Des éléments non pécuniaires, comme la formulation d’excuses individuelles, y compris aux familles des victimes de la purge décédées, les modifications aux dossiers d’emploi pour tenir compte du caractère injuste des congédiements, ainsi que des initiatives d’ordre éducatif et commémoratif, faisaient partie intégrante du programme. «Nous voulons que les leçons apprises ne soient pas oubliées», précise Mme Roy. De hauts gradés de l’armée, de la GRC et du Conseil privé ont envoyé des lettres d’excuses aux membres du recours collectif.

Les militaires et les membres de la GRC recevront également un éloge de la Fierté du Canada, un honneur qui reflète le service qu’ils ont rendu au Canada. Les volets éducatif et commémoratif sont essentiels et, à ce titre, le Fonds Purge LGBT sans but lucratif a été créé pour superviser la portion de 15 millions de dollars du règlement du recours collectif qui couvrira la construction d’un monument dans la région de la capitale nationale; la création d’une exposition sur les récits des membres du recours collectif au Musée canadien des droits de la personne; la publication des documents historiques non personnels sur la purge; et la formation des employés fédéraux sur la diversité.

Le Fonds compte six administrateurs bénévoles dévoués, dont M. Davis, Mme Douglas, Mme Roy, M. Ross, Me Elliott (le seul non-membre du recours) et Diane Pitre, une autre ancienne membre des FAC qui a lutté longtemps et âprement pour obtenir des réponses et demander réparation. Ils ont tous fait de l’excellent travail dans leur communauté et en faveur des droits des LGBTQ.

La mise en œuvre de ces projets doit respecter un échéancier de quelques années seulement, mentionne Mme Douglas, qui est sur le point de prendre sa retraite après une longue et fructueuse carrière au ministère de la Justice : «étant donné qu’en ce moment, nous n’avons littéralement aucun personnel rémunéré. Ce sont d’énormes projets à mettre en œuvre. Pour l’instant, nous sommes en train de renforcer nos capacités.» Mme Douglas réitère que les projets du Fonds «s’inscrivent dans le cadre de l’exercice de la justice» et qu’ils sont axés sur «la façon d’utiliser au mieux l’argent dont nous disposons pour commémorer et réaliser de grands projets patrimoniaux qui résisteront à l’épreuve du temps et qui rappelleront aux gens cette période de l’histoire canadienne».

Des travaux de moindre envergure ont déjà commencé et s’avèrent personnellement enrichissants pour les membres du conseil d’administration. M. Davis a récemment assisté à une conférence internationale sur les services de police LGBTQ à laquelle participaient des agents de 40 corps policiers de 20 pays. Il s’agissait «tout simplement de mon premier contact avec la GRC et des organisations policières depuis mon départ il y a 30 ans. C’était très thérapeutique, parce que j’ai été capable de me poser certaines questions, comme Qu’est-ce que je ressens ici? Suis-je en colère? Suis-je contrarié? Puis j’ai réalisé que j’étais nostalgique parce que j’ai été flic... C’était très réconfortant pour moi de savoir que je ne ressentais pas beaucoup de colère et d’amertume.» Il travaille également avec la GRC et formule des commentaires sur sa formation à la diversité relative aux membres LGBTQ. «Cela a été une expérience positive pour moi d’un point de vue personnel», confie-t-il.

Dans son discours d’excuse prononcé en novembre 2017 à la Chambre des communes, le premier ministre a promis de s’attaquer aux lois qui avaient injustement touché la communauté LGBTQ. Un de ces volets a été l’adoption d’une loi sur la radiation des condamnations historiquement injustes et sur la destruction de ces dossiers. L’autre volet était l’abrogation de lois, comme la «loi sur la sodomie» de l’article 159 du Code criminel.

Le projet de loi C-66, qui a créé la procédure de radiation, est entré en vigueur en juin 2018, mais plusieurs membres de la communauté queer le considèrent comme étant «terriblement imparfait». Les anciennes dispositions sur la sodomie et l’indécence grossière ont été incluses, mais d’autres, comme la loi sur les maisons de débauche, souvent utilisée pour cibler les utilisateurs des bains publics, ne l’ont pas été, explique Tom Hooper, qui enseigne dans le cadre du programme sur le droit et la société à l’Université York. «C’est le premier problème. Ils n’ont pas inclus les infractions pour lesquelles des personnes LGBTQ ont été accusées et condamnées. Mais l’autre problème est que le processus de demande est si complexe que je présume que bien des gens ne voient pas l’intérêt de déposer une demande de radiation.» Au cours de l’année qui a suivi l’adoption de la loi, la Commission des libérations conditionnelles du Canada n’a reçu que 17 demandes de radiation, dont six ont été ordonnées, a déclaré à Sage une porte-parole de la Commission. M. Hooper indique que la GRC a laissé entendre lors des audiences parlementaires que jusqu’à 9 000 personnes pourraient être touchées.

Le troisième problème est un détail technique légal, mais crucial. «Le projet de loi ne vise que les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation et qui ont ensuite été déclarées coupables à la suite de cette condamnation», explique M. Hooper. «Et ce que nous constatons dans la communauté queer et notre criminalisation... c’est que la plupart du temps, les gens qui comparaissaient devant les tribunaux recevaient une déclaration de culpabilité, avant d’être plus ou moins absous dans l’énoncé de la condamnation.»

Les premiers efforts visant à abroger les dispositions du Code criminel qui visaient indûment la communauté LGBTQ ont échoué, mais le projet de loi omnibus C-75, qui a reçu la sanction royale en juin dernier, a été bien accueilli. Au départ, il ne comprenait pas tous les articles qui étaient utilisés contre la communauté LGBTQ mais, «à la suite de nos interventions, le Comité de la justice a accepté d’inclure l’abrogation des dispositions sur les maisons de débauche et le vagabondage», déclare M. Hooper, qui ajoute que les partis politiques ont appuyé à l’unanimité la suppression de ces dispositions. «Il s’agissait donc d’une victoire importante pour notre communauté, je pense, le fait que ces anciennes lois aient été abrogées. Et cela ouvre aussi la voie pour qu'elles soient ajoutées au projet de loi sur la radiation.» 

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'Automne 2019 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!