L’essor des centenaires

05 juin 2024
Esther Louch.
Esther Louch a eu 100 ans en avril et vient tout juste d’emménager dans une résidence pour retraités. Elle a passé sa carrière dans une commission scolaire, alors que son défunt mari travaillait pour la fonction publique fédérale. Elle a fait du bénévolat pour Retraités fédéraux, voyage encore et aime lire. Photo : Dave Chan
 

Esther Louch a fêté son 100e anniversaire le 20 avril, entourée de sa famille, à l’Orée du Bois, un agréable restaurant de Gatineau, au Québec. Elle joue régulièrement au bridge dans la maison de retraite où elle a emménagé quelques mois plus tôt et s’efforce de faire une promenade tous les jours. 

La centenaire Louch fait partie d’une nouvelle tendance. La population canadienne vieillit rapidement et nous sommes de plus en plus nombreux à vivre jusqu’à 100 ans. Aujourd’hui, un Canadien sur cinq a plus de 65 ans. Dans les années à venir, nous serons de plus en plus nombreux à vivre 100 printemps, à mesure que l’importante cohorte des bébé-boumeurs vieillira. 

En 2022, les données de Statistique Canada montraient que le pays comptait près de 13 500 centenaires, soit une augmentation remarquable de 43 % par rapport à 2018. Au cours des 25 prochaines années, Statistique Canada prédit que le nombre de Canadiens de 85 ans et plus pourrait tripler et représenter près de 2,5 millions de personnes. Plus de la moitié de ces personnes seront des femmes, qui ont tendance à vivre plus longtemps. 

La pandémie s’est traduite par une légère baisse de l’espérance de vie qui a fait passer la moyenne de 82,3 à 81,3 ans, mais la crise sanitaire semble être désormais résorbée. Le Canada a perdu près de 59 000 personnes à cause de la COVID-19, ce qui a faussé les données nationales sur l’espérance de vie. 

Mais, dans l’ensemble, depuis l’aube du xxe siècle, nous vivons de plus en plus longtemps, principalement en raison de la baisse de la mortalité infantile attribuable à la croissance économique, à l’amélioration de la nutrition, aux nouvelles mesures sanitaires et aux progrès des connaissances en matière de soins aux nourrissons. En 1900, les gens vivaient en moyenne jusqu’à 45 ans, en 1960 jusqu’à 71 ans, en 1980 jusqu’à 75 ans et en 2000 jusqu’à 79 ans. 

Quel est donc le secret pour faire partie de ce groupe des chanceux qui deviennent centenaires? De nombreux scientifiques tentent de le découvrir, mais personne n’a de réponse définitive. 

« Boston dispose d’une étude longitudinale à grande échelle sur les centenaires », explique Andrew Costa, directeur scientifique associé de l’Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement (ELCV), titulaire de la Chaire de recherche Schlegel en épidémiologie clinique et vieillissement et professeur agrégé au Département de médecine de l’Université McMaster. « On pense à l’existence de biomes intestinaux. Mais il est très difficile de savoir s’ils ne découlent pas tout simplement de l’accumulation d’un bon mode de vie depuis le début. » 

M. Costa explique que la raison pour laquelle les gens vivent jusqu’à 80 ans est d’ordre génétique dans une proportion de 30 à 40 %. « Pour la très grande majorité, il s’agit du mode de vie. Avez-vous fumé? Avez-vous adopté des comportements à risque? Quel était votre régime alimentaire? », lance-t-il. 
 

Burdett Sisler

Burdett Sisler, 108 ans, attribue en partie sa longévité au fait qu’il n’a jamais fumé. Son médecin déclare qu’il a les poumons d’un adolescent de 16 ans. Photo : Bob Tymczyszyn/Torstar
 

Burdett T. Sisler, 108 ans, partage cet avis et attribue en partie sa longévité au fait qu’il n’a jamais fumé. Son médecin lui dit qu’il a les poumons d’un adolescent de 16 ans. 
« Gardez l’esprit ouvert », conseille ce membre des services secrets de la Seconde Guerre mondiale et retraité de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. « Il ne sert à rien d’être désagréable avec qui que ce soit » 
 

Un vieillissement réussi 

Le dénominateur commun de tous les centenaires est ce qu’on appelle un « vieillissement réussi ». En voici la définition : aucune limitation dans les activités de la vie quotidienne, malgré des affections chroniques; absence de maladie mentale grave, de troubles de la mémoire et de douleur chronique invalidante; soutien social adéquat et bonheur autodéclaré; et perception subjective de sa santé physique et mentale et de son vieillissement comme étant bons. 

« Ce sont généralement des gens heureux », explique M. Costa. « Et on s’attend à ce que ce soit le cas. Mais il ne semble pas y avoir d’explication magique sur la façon dont ceux-ci sont parvenus à dépasser le cap des 100 ans », ajoute M. Costa. « Lorsque nous prélevons leur sang, lorsque nous examinons leurs valeurs, nous constatons qu’ils sont partout. » 

Jeanne Calment, supercentenaire française et plus vieille personne au monde dont l’existence a été vérifiée, a vécu 122 ans et 164 jours. Elle fumait quotidiennement. Et elle a échappé aux maladies pulmonaires et au cancer. La science actuelle estime que Mme Calment a atteint la durée de vie maximale d’un être humain, du moins jusqu’à ce qu’une autre personne pulvérise ce record. 

« J’aime le sport », mentionne Agnes Ward, qui a servi outre-mer dans l’Aviation royale canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale avant de passer 30 ans au ministère de la Défense nationale et de prendre sa retraite au début des années 80 à Trenton, en Ontario. Ce n’est que l’année dernière qu’elle a emménagé dans une maison de retraite, à l’âge de 101 ans, en précisant qu’il ne s’agit pas d’un foyer de soins. Elle a été furieuse lorsqu’on lui a retiré son permis à 97 ans, malgré son dossier de conduite impeccable. 

« ’adore mes Blue Jays », lance-t-elle avec enthousiasme. « Quand le baseball commence, ne me cherchez pas durant la journée. Et j’aime le hockey. Je continue à regarder les Leafs. Mais le baseball est mon sport préféré. J’adore les Blue Jays. J’ai toujours hâte que la saison commence. » 

La dernière étude de l’ELCV, qui a été réalisée en 2022, a porté sur 30 097 hommes et femmes canadiens âgés de 45 à 85 ans. Parmi eux, plus de 7 600 répondants ont été définis comme « vieillissant avec succès ». 

Âgé de 101 ans, John W. (Bill) Thorsteinson est vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Il partage un appartement avec un ami à White Rock, en Colombie-Britannique. Il a pris sa retraite de Douanes Canada en 1978. 

Ayant été en bonne santé toute sa vie, il conduit encore aujourd’hui, mais seulement pour faire des courses à des heures de faible affluence le matin. Son véhicule utilitaire sport de trois ans n’affiche que 1 500 kilomètres au compteur. 

« Chaque jour semble être agréable », dit M. Thorsteinson qui, comme beaucoup de centenaires, marche désormais avec une canne pour garder l’équilibre. « Ma famille m’entoure et je lis beaucoup, car je suis quelque peu limité pour la marche. » 
Selon les études de l’ELCV, la prévalence d’un vieillissement réussi est plus faible chez les immigrants que chez les personnes nées au Canada. 

L’hypothèse est que les personnes qui ont vécu au Canada ont pour la plupart bénéficié d’une eau propre, de bonnes conditions sanitaires et d’un environnement décent. 

Les immigrants « arrivent avec des antécédents différents, des environnements différents et des modes de vie différents ». Et cela pourrait changer la façon dont ils vieillissent dans notre société », explique M. Costa. « Nous pourrions voir une exagération des différences par rapport aux maladies que les gens contractent lorsqu’ils vieillissent, en fonction de certains facteurs précoces de leur vie à l’endroit où ils vivent. Nous ne le savons pas. » 

Nous pensons cependant savoir pourquoi les femmes vivent plus longtemps, en plus de leurs deux chromosomes X et de leur taux de testostérone plus faible. La testostérone donne plus de force aux hommes dans leur jeunesse, mais elle cause souvent des problèmes cardiaques à un âge plus avancé. 

« On constate un phénomène d’allongement colossal de la durée de vie des femmes », explique M. Costa, qui souligne que la longévité des hommes est en train de rattraper son retard. 

« Nous savons que les hommes effectuaient traditionnellement des travaux plus dangereux et qu’ils présentaient des facteurs de mode de vie beaucoup plus délétères, comme le tabagisme. »
 

Agnes Ward.

Agnes Ward, qui a servi dans l’Aviation royale du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale avant de passer 30 ans au ministère de la Défense nationale, s’est installée dans une résidence pour retraités à 101 ans. Cette mordue de longue date des Blue Jays a assisté à son premier match en mai de cette année. Photo : Jackie Hall Photography

 

L’étude a révélé que les répondants avaient plus de chances de bien vieillir s’ils étaient mariés en permanence ou nouvellement mariés que s’ils n’avaient jamais été mariés et, fait également important, s’ils avaient des interactions sociales positives comme le bénévolat, les activités caritatives et les loisirs, que s’ils ne participaient pas à de telles activités. 

Mais il y a toujours des exceptions. Agnes Ward ne s’est jamais mariée et, bien qu’elle dise avoir eu la chance d’échapper à quelques fiançailles ratées et d’avoir eu un compagnon de voyage pendant 17 ans, elle a certainement bien vieilli. 

« Quand Dieu voudra me prendre, je partirai », dit-elle. « Mais, entre-temps, il m’a donné une vie merveilleuse. Et je prends chaque jour comme il vient. Et j’apprécie chaque jour. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'automne 2023 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?