Guerre à l’âgisme

06 mars 2023
Linda McDonald.
Linda MacDonald, qui est membre de Retraités fédéraux, a déclaré la guerre à l’âgisme. Elle l’a vécu et le dénonce quand elle en est témoin. Photo : Anna Pelletier Doble
 

Linda MacDonald se souvient très bien d’une occasion où elle a été victime d’âgisme. Alors âgée de 73 ans, elle souffrait de douleurs à la poitrine et s’était rendue à la salle d’urgence. Un examen plus approfondi a conclu qu’il ne s’agissait que de spasmes musculaires. Alors qu’elle quittait l’hôpital, un employé est venu l’interviewer, comme avec tous les patients de plus de 70 ans.

« C’était bien. En fait, je pensais que c’était une bonne chose », se souvient-elle. « Ils le font pour s’assurer que, lorsque vous rentrez chez vous, vous avez le soutien dont vous avez besoin. »

L’intervieweur a posé ses questions, notamment si elle prenait des médicaments. Lorsqu’elle a dit oui, il lui a demandé si elle se « souvenait » duquel.

« Il ne réalisait même pas ce qu’il me disait en utilisant ce mot », précise Mme MacDonald, auparavant administratrice du district de l’Ontario pour Retraités fédéraux. « Mais je lui ai fait savoir. Je lui ai dit que l’inférence voulait qu’on pense que je pourrais ne pas savoir ce qu’est [mon médicament], ou ne pas m’en souvenir. Mais, très clairement, je le savais. Et il se trouve qu’il prend le même. Ce genre de choses est subtil, mais cela indique vraiment autre chose. »

Cet « autre chose », c’est l’âgisme, une forme systémique d’oppression dont les aînés sont très souvent victimes. Il se manifeste dans les pensées, par des stéréotypes; dans les sentiments, par des préjugés; et dans les agissements, par la discrimination.

Le sexe, la race et l’orientation influent sur la manière dont on vit l’âgisme et sur les personnes ciblées. Ses sources sont nombreuses : marketing, télévision, films, médias, politiques gouvernementales, prestation de soins de santé. Il peut être implicite, explicite, institutionnel et personnel.

L’autre expérience de Mme MacDonald est plus douloureuse que la première. Alors qu’elle avait un peu plus de 70 ans, sa mère a commencé à ressentir de fortes douleurs. Un médecin a conclu à de l’arthrite, une affection courante dans son groupe d’âge. Après plusieurs années de souffrance, elle est devenue si malade qu’elle a été hospitalisée. Les médecins ont alors vite compris qu’elle était atteinte d’un myélome multiple, un cancer du sang produisant de vives douleurs osseuses.

« Si on n’avait pas supposé que ses symptômes étaient ceux de l’arthrite, parce qu’elle était septuagénaire, elle aurait obtenu un diagnostic des mois, voire des années plus tôt, et on lui aurait épargné beaucoup de douleur », précise Mme MacDonald. « C’est le genre de chose qui m’inquiète vraiment. Et ça devrait inquiéter beaucoup de gens. »

Ashton Applewhite.

L’auteure Ashton Applewhite a commencé à faire des recherches sur l’âgisme lorsqu’elle a commencé
à le remarquer elle-même.

Colère face à l’âgisme

Pour Ashton Applewhite, auteure de This Chair Rocks : A Manifesto Against Ageism, l’inspiration de faire des recherches sur l’âgisme vient de la colère.

« J’ai réalisé que je vieillissais et j’ai commencé à me pencher sur la vieillesse. En 30 secondes, j’ai constaté que mes craintes étaient légitimes », confie Mme Applewhite. « Je suis devenue obsédée par la raison pour laquelle nous ne parlions jamais des deux côtés de la médaille. J’ai fini par [mieux] comprendre comment fonctionnent les préjugés. »

Mme Applewhite, qui publie la chronique de conseils Yo, Is this Ageist? sur son site Web thischairrocks.com, affirme que l’argument le plus efficace pour démanteler l’âgisme est la perspective des avantages, pour la santé, d’un monde qui en est exempt.

Dans son Rapport mondial sur l’âgisme historique de 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que l’âgisme est associé à une espérance de vie plus courte, à une santé physique et mentale moins bonne, à un rétablissement plus lent après un handicap et à un déclin cognitif.

Pour reprendre les propos de ce rapport : « L’âgisme réduit la qualité de vie des personnes âgées, accroît leur isolement social et leur solitude (tous deux associés à de graves problèmes de santé), limite leur capacité à exprimer leur sexualité et peut accroître le risque de violence et d’abus à l’encontre des personnes âgées. »

Le rapport cite également une « estimation récente » montrant que l’âgisme coûte des milliards de dollars à la société.

Mme Applewhite aime aussi une étude réalisée par Becca Levy, professeure de santé publique et de psychologie à l’Institut de santé mondiale de l’Université Yale. Mme Levy a constaté que les personnes ayant une attitude positive (Mme Applewhite préfère le terme « attitude exacte ») à l’égard du vieillissement vivent 7,5 ans de plus que celles qui ont une mauvaise attitude.

Une étude similaire menée par l’Annenberg Public Policy Center et l’American Association of Retired Persons a révélé ceci : plus on en sait sur le vieillissement, moins on en a peur, et apprendre à vieillir réduit l’anxiété à son sujet. Comme le dit Mme Applewhite, il est malsain de ne retenir que les aspects « effrayants ».

« Je ne suis pas du genre Pollyanna », souligne Mme Applewhite. « Il est super important d’aborder le fait que beaucoup de nos craintes [concernant le vieillissement] sont tout à fait légitimes, mais qu’une grande partie de ce que nous considérons comme de l’âgisme est en fait du validisme [discrimination en faveur des personnes valides]. C’est de la stigmatisation. »
 

Le combat de Retraités fédéraux

À l’été 2022, Retraités fédéraux a franchi une étape historique en se joignant à l’Alliance mondiale pour les droits des personnes âgées (GAROP) et a collaboré avec le Centre international de longévité Canada pour créer la Coalition canadienne contre l’âgisme, un groupe qui fait maintenant pression sur l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour introduire une convention des Nations unies sur les droits des personnes âgées. Cette convention figurait parmi les recommandations du rapport de l’OMS sur l’âgisme. L’ONU a déjà déclaré la présente décennie « Décennie des Nations unies pour la santé et le vieillissement ». Cela pourrait contribuer à ouvrir la voie.

Anthony Pizzino, directeur général de Retraités fédéraux, fait de la sensibilisation à l’âgisme une priorité pour l’organisation.

« Les Canadiens âgés en ont assez de cette stigmatisation », déclare M. Pizzino. « Nous devons dénoncer l’âgisme lorsque nous le constatons, et nous avons besoin d’actions gouvernementales concertées pour soutenir ces efforts. Nous avons besoin d’un changement de perspective pour éliminer les stéréotypes selon lesquels les aînés sont un élément faible, dépendant et non contributif de la société. »

Leslie Gaudette, qui a été bénévole pour Retraités fédéraux à plusieurs titres, aide à faire avancer cette initiative dans sa province, la Colombie-Britannique (C.-B.). Elle affirme avoir constaté que l’âgisme est bel et bien présent, même dans les possibilités de bénévolat.


« L’âgisme réduit la qualité de vie des personnes âgées, accroît leur isolement social et leur solitude… limite leur capacité à exprimer leur sexualité et peut accroître le risque de violence et d’abus à l’encontre des personnes âgées. »


« Lorsque vous atteignez la cinquantaine, vos responsabilités diminuent souvent et vous avez le temps de faire ce qui vous intéressait, mais que vous ne pouviez pas faire avant », explique Mme Gaudette. « Mais on ne reconnaît pas qu’une personne dans la cinquantaine peut avoir 20 ou 30 années de qualité, voire plus, pour contribuer. C’est beaucoup de temps. »

Elle se souvient d’un groupe dont elle est devenue membre et qui cherchait des personnes âgées de 30 ans pour faire du bénévolat alors qu’il comptait des femmes de plus de 80 ans qui participaient encore très activement.

« Même s’il y a parfois quelques limitations physiques, mentalement, il n’y en a aucune », dit-elle. « Et [les aînés] ont toute cette expérience de planification et d’organisation, ce savoir et ces relations qu’ils peuvent apporter et qui peuvent être vraiment utiles. »
 

Pistes d’éradication

Pour aider à éradiquer l’âgisme, l’OMS recommande trois stratégies éprouvées. La première suggère « des politiques et des lois visant à lutter contre la discrimination et les inégalités liées à l’âge, ainsi que sur les droits humains ». La deuxième propose des « activités éducatives [qui] contribuent à renforcer l’empathie, à faire tomber les idées fausses sur les différents groupes d’âge et à réduire les préjugés et la discrimination en fournissant des informations précises et des exemples contre les stéréotypes ». Enfin, la troisième recommande les contacts intergénérationnels pour « réduire les préjugés et les stéréotypes entre les groupes » dans tous les domaines.

Mme Applewhite propose également quelques « antidotes ». À son avis, la sensibilisation est le point de départ essentiel, car la société doit reconnaître ses propres préjugés sur l’âge et le vieillissement. Même Mme MacDonald admet avoir des préjugés bien ancrés sur le sujet, bien qu’elle soit une championne anti-âge.

À l’instar de l’OMS, Mme Applewhite suggère également de nouer des relations avec des personnes de tous âges, car « une société équitable pour tous les âges exige une collaboration intergénérationnelle ». Elle recommande aussi le militantisme. « Soyez à l’affût des comportements et attitudes âgistes, remettez-les en question et créez un discours et des modèles qui soutiennent chaque étape de la vie. »

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'hiver 2022 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?