Pam Damoff, députée libérale d'Oakville-Nord—Burlington, élue pour la première fois en 2015, ne se présente pas à une réélection en raison du dialogue irrespectueux, de l'obligation toxique d'obtenir des mentions « J'aime » dans les médias sociaux, ainsi que les menaces et la misogynie en ligne et en public. Photo : Dave Chan
Pour être politicien, il faut avoir la peau dure. La députée libérale d’Oakville-Nord—Burlington, Pam Damoff, qui a été élue pour la première fois en 2015, pensait qu’elle était habituée à la critique et à la surveillance qui accompagnent cet emploi. Elle dit que la pandémie a changé cela.
En mai, elle a annoncé qu’elle ne se représentera pas aux élections, en dénonçant des échanges irrespectueux, un besoin toxique de plaire aux réseaux sociaux ainsi que des menaces et de la misogynie en ligne et en public.
« Le fait de me trouver là provoque un grand sentiment de vulnérabilité », évoque Mme Damoff durant une entrevue sur la Colline du Parlement. « Je suis attristée que ma première pensée à l’approche d’une personne en public soit “Oh, non!” Cela me rend nerveuse, plutôt que de songer “Cette personne veut simplement discuter.” »
Mme Damoff n’est pas la première politicienne à plier bagage en raison de l’incivilité. L’ancienne ministre libérale Catherine McKenna avait démissionné en 2021, après avoir été victime de harcèlement durant six ans, dont les manifestations allaient du surnom de
« Barbie du climat » aux confrontations publiques en présence de ses enfants.
Les conjoints de politiciens ont également été touchés. Le chef du groupe d'extrême droite canadien Diagolon, Jeremy MacKenzie, a proféré en 2022 des menaces sur les médias sociaux, suggérant que lui et un invité violent Anaida Poilievre, épouse de Pierre Poilievre, aujourd'hui chef du Parti conservateur, en tant que geste de pouvoir.
Dans la sphère politique, les menaces sont devenues normales, explique Chris Tenove, directeur adjoint du Centre for the Study of Democratic Institutions à l’Université de la Colombie-Britannique.
« Pour les politiciens et la plupart des gens, la distinction entre ce qui se passe en ligne et hors ligne n’est pas simple. Lorsqu’une quelconque personne fait preuve d’hostilité et d’agressivité en ligne, [on] craint qu’elle se présentera au bureau de circonscription ou ailleurs. »
Il mentionne que certains groupes ou certaines personnes semblent
« incapables de faire la distinction » entre les protestations ou les critiques à l’encontre de politiques et l’intimidation ou les commentaires désobligeants à l’égard de personnes.
Cela transforme la façon dont les députés interagissent avec leurs électeurs.
« Selon les conseils du Service de protection parlementaire, nous sommes censés rencontrer des gens en personne sur rendez-vous seulement », indique Mme Damoff. « La plupart des rencontres ont lieu en mode virtuel maintenant, à moins que je connaisse la personne. »
Son bureau de circonscription se trouve dans un immeuble comportant plusieurs cabinets médicaux. Elle indique que les gens avaient l’habitude de passer la voir après leur rendez-vous chez le médecin.
« Ce n'est plus le cas. La porte est verrouillée et il y a un système de sécurité », explique-t-elle.
La colère et le mépris ne se limitent pas à la scène politique fédérale.
Pierre Leroux, maire de Russell, en Ontario, a quitté son poste en avril pour exercer un rôle moins public auprès
de la municipalité de La Nation. Cette démarche a eu lieu après sa publication en ligne dans laquelle il se défoulait à propos du harcèlement qu’il avait enduré.
« Lorsque je me suis lancé en politique [en 2010], l’une de mes plus grandes forces, c’était la participation sur les réseaux sociaux », précise-t-il. « J’ai laissé derrière moi les réseaux sociaux en même temps que ce rôle et c’est l’une des meilleures choses que j’aie faites dans ma vie. »
Il ne s’agit pas du seul maire à avoir quitté la scène politique cette année. En février, la mairesse de Gatineau, France Bélisle, a démissionné après avoir reçu des menaces de mort. Selon l’Union des municipalités du Québec, elle fait partie d’au moins 741 dirigeants municipaux élus à avoir démissionné depuis
2021, plusieurs d’entre eux évoquant l’intimidation et le harcèlement comme étant les raisons de leur départ.
Afin de ralentir cette marée de démissions, la législature du Québec a récemment adopté une loi controversée, qui comprend des amendes pour toute personne qui intimide un politicien.
Elle autorise aussi les élus à déposer des demandes d’injonction contre les personnes qui les harcèlent.
Des craintes que des menaces en ligne puissent se concrétiser en violence réelle ont poussé certains députés et sénateurs à être munis, maintenant, de dispositifs d’alerte. En janvier, la CBC a rapporté que la GRC avait déjà dépensé une somme record de 2,5 millions de dollars pour la sécurité de députés durant son exercice financier 2023–2024, ce qui exclut les coûts associés à la protection du premier ministre.
Même les fonctionnaires ont été victimes de harcèlement. À titre de membre du Comité permanent de la sécurité publique et nationale,
Mme Damoff a examiné le projet de loi C-21, sur le contrôle des armes à feu, qui a depuis été adopté. Elle souligne que certains députés conservateurs
« intensifiaient leur indignation » devant les caméras et que le président a dû les réprimander à plusieurs reprises quant à la façon dont ils interrogeaient des fonctionnaires des ministères de la Justice et de la Sécurité publique.
Les fonctionnaires « recevaient des menaces de mort parce qu’ils faisaient leur travail », souligne-t-elle. « C’était profondément inquiétant. »
Lori Turnbull, directrice de l’École d’administration publique et professeure associée de sciences politiques à l’Université de Dalhousie, estime que cette problématique n’est pas simple à résoudre. Elle indique que les crises de l'économie, du logement et de l’accessibilité, ainsi que les effets de polarisation de la pandémie, ont créé des conditions dans lesquelles le harcèlement et la désinformation prospèrent.
Elle souligne également les changements apportés aux méthodes de financement des partis politiques. En 2004, Jean Chrétien a mis fin aux dons en provenance de sociétés commerciales et de syndicats. En 2015, la subvention par vote obtenu a été abolie. Les partis politiques doivent se démener pour obtenir des dons de particuliers. Selon Mme Turnbull, bien que la majorité de la population canadienne n’aime pas les gazouillis incendiaires, les politiciens peuvent amasser des fonds et des votes auprès d’une faible minorité en colère.
« Dans une circonscription girouette, cela pourrait représenter assez de gens pour faire la différence entre le premier rang et le deuxième rang au scrutin », indique-t-elle. « Tout ce qui compte dans nos élections, c’est de finir premier. »
Cela a engendré une situation dans laquelle certains politiciens contribuent à la culture toxique qui menace leur sécurité.
Avec l’impulsion d’amasser des votes et des dons, la motivation à modérer son discours est faible. Mme Turnbull craint que la seule façon de susciter une véritable conversation à propos de ce problème soit une grave blessure ou un décès en raison d’une protestation politique.
Même si nous évitons ce dénouement, cela indique que le manque de courtoisie peut dissuader des gens de se présenter aux élections. Outre cela, selon l'envergure d'un désintéressement de la part des électeurs, cela pourrait affaiblir le taux de participation électorale à un point tel qu’on en vienne à remettre en question la légitimité de nos élections.
Elle aimerait des mesures supplémentaires de la part des dirigeants.
« Nous devons trouver un moyen de choisir des dirigeants prêts à prendre des risques et à contrôler le comportement de leurs propres membres », dit-elle. Les chefs des partis politiques ont le pouvoir d’expulser des personnes du caucus ou de leur attribuer des fonctions parlementaires ou au sein d’un comité qui leur sont indésirables s’ils dépassent les bornes. Mme Turnbull demande :
« Pourquoi ne pas utiliser une portion de ce pouvoir à bon escient? »
M. Tenove en convient, en ajoutant que tous les partis et leurs membres doivent s’engager à faire preuve de respect : il ne peut pas s’agir d’un parti qui « dit aux autres de bien se comporter tandis que son chef sort le coup-de-poing américain ».
Il souligne d’autres façons de lutter contre le problème. On peut dénoncer les comportements toxiques. Les décideurs politiques peuvent clarifier les lois et établir une norme nationale, pour permettre à la police d’intervenir de façon cohérente face au harcèlement.
Il mentionne que le projet de loi sur les préjudices en ligne, qui a pour objectif de définir les discours haineux sur Internet et de s’y attaquer, pourrait contribuer à responsabiliser les plateformes de médias sociaux pour le contenu préjudiciable sur celles-ci.
Pour Mme Damoff, la discussion en cours sur cette question est encourageante. Malgré la virulence dont elle a été victime, elle s’estime chanceuse de poursuivre son implication pour le bien de sa collectivité pour le moment.
« C’est un dur labeur, mais des occasions se présentent pour faire toute une différence », explique-t-elle. « Je pense simplement que les gens doivent se lancer en sachant bien ce qui les attend, surtout dans le cas des femmes. »
Quant à M. Leroux, il estime également que son mandat à titre de conseiller municipal puis de maire a été gratifiant, malgré les trolls. Il espère que des personnes plus jeunes se lanceront en politique et feront le ménage dans cette culture toxique.
L’un de ces jeunes pourrait être son fils, Jeremy. Il a observé la carrière politique de son père depuis l’âge de six ans et il a récemment exprimé souhaiter se présenter aux élections à titre de conseiller municipal un jour.
« Ma première réaction fut : “Tu dois être prêt pour cela”, mais j’étais fier », lance M. Leroux.