B.C. Guides Dogs est l‘un des programmes les plus anciens du pays. Il dispose d‘un programme interne d‘élevage de golden retrievers et dresse ensuite les chiens qui vont en pension chez des bénévoles tout au long du processus. Photo : Adrian Lam
Renate Sutherland pleure lors de chaque départ.
Cette agente des programmes de défense des intérêts de Retraités fédéraux en Colombie-Britannique accueille des chiens d‘assistance pour le programme B.C. Guide Dog pendant environ cinq mois avant de les remettre aux bénéficiaires méritants. Depuis son départ à la retraite en 2018, elle a travaillé avec six chiens.
Le programme — l‘un des nombreux soutenus par Wounded Warriors Canada — élève ses propres golden retrievers dans le cadre d‘un programme d‘élevage interne et les remet à des personnes qui vivent avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT) causé par le stress professionnel lié au travail dans les Forces armées canadiennes (FAC), la Gendarmerie royale canadienne (GRC) ou le domaine des premières interventions.
Mme Sutherland et son mari, Neil Dawe, accueillent les futurs chiens d‘assistance lorsqu‘ils ont 18 mois, après leur placement dans une autre famille pour un dressage rigoureux. Mme Sutherland travaille ensuite avec les jeunes chiens adultes. Elle les emmène presque partout avec elle pendant cinq à six mois, vêtus de leur gilet de dressage pour chiens d‘assistance. On essaie ainsi de déterminer si le chien possède vraiment les qualités d‘un chien d‘assistance.
« Je soutiens le dressage », explique Mme Sutherland. « Je dois donc m‘entraîner aux tâches qui sont confiées aux chiens. Les dresseurs professionnels se chargent du dressage plus intense. Je vais à un cours une fois par semaine avec un chien et c‘est là que j‘apprends ses tâches, pour pouvoir les renforcer à la maison. J‘emmène le chien avec moi le plus souvent possible. J‘en ai emmené chez le pédicure, chez le manucure, chez le médecin. Il est très important qu‘ils se comportent bien et qu‘ils puissent se débrouiller dans presque toutes les situations, [comme] des escaliers roulants, des portes [tournantes] ».
Lorsque les chiens sont avec elle, c‘est un engagement de 24 heures sur 24 et de 7 jours sur 7, mais elle adore.
« Pour moi, le point très important est de savoir que ces chiens feront une énorme différence dans la vie de quelqu‘un. Parfois, il s‘agit d‘une famille entière, dont la vie changera grâce à ces chiens. C‘est vraiment important pour moi. C‘est un prolongement de ma carrière de 30 ans dans les services sociaux », confie-t-elle.
Les candidats à l‘obtention d‘un chien sont soumis à un processus de sélection complexe. En plus d‘être dirigés vers un professionnel de la santé mentale, ils doivent être considérés comme pouvant en bénéficier et leur famille, s‘il y a lieu, doit être d‘accord.
« C‘est la même chose pour nous en tant que famille d‘accueil », explique Mme Sutherland. « Ils [les chiens] font partie de la famille. »
Et, effectivement, elle pleure à leur départ comme chiens d‘assistance ou à leur retour au centre de dressage pour être adoptés lorsqu‘ils n‘ont pas été retenus. C‘est ainsi qu‘elle a adopté son pensionnaire Dakota lorsqu‘il a été jugé inapte à devenir un chien d‘assistance.
Sur les six chiens qu‘elle a accueillis jusqu‘à présent, quatre sont devenus des chiens d‘assistance. Et elle a rencontré trois des personnes qui sont devenues leurs bénéficiaires.
« Je ne les rencontre pas lorsqu‘ils obtiennent le chien, mais cela m‘arrive à l‘occasion d‘événements. Si je crois reconnaître un chien, je parle au dresseur pour demander son nom. Ensuite, je demande si la personne serait prête à ce que je la salue. C‘est souvent le cas. »
Un changement de vie
Stéphane Marcotte se souvient de la première fois où il a réalisé qu‘un chien d‘assistance pourrait lui convenir. Au cours de ses 28 ans dans l‘armée, il en a passé 18 dans des sous-marins.
C‘est là qu‘il a vécu de « mauvaises » expériences et qu‘il a été libéré pour raisons médicales.
« Lorsque j‘ai pris ma retraite, j‘étais très perturbé », explique-t-il. « J‘étais toujours dans mon sous-sol, je n‘en sortais jamais. »
Après une période d‘apitoiement, il a agi. Lors d‘une retraite avec Wounded Warriors Canada, il s‘est arrêté à un stand dans un salon professionnel.
« J‘ai visité le stand [des chiens d‘assistance] », évoque-t-il, la voix étranglée par ce souvenir. « Un chien m‘a léché le visage et cela m‘a paru comme trois années de thérapie en une seconde. J‘ai immédiatement entamé les démarches pour en obtenir un. »
Il s‘est inscrit à un programme pilote de Wounded Warrior, d‘une durée de deux ans.
« J‘étais très engagé, parce que je savais que cela m‘aiderait et, finalement, j‘ai même pu arrêter de prendre mes médicaments. « En toute honnêteté, je peux dire que je ne serais pas où j‘en suis aujourd‘hui sans mon chien. »
Sarge l‘a accompagné pendant 7 ans et demi et va maintenant prendre sa « retraite ». Mais, comme cela arrive souvent, M. Marcotte le gardera comme animal de compagnie. Entre-temps, il s‘est qualifié pour un nouveau chien, qu‘il dresse depuis juillet.
Lorsqu‘il a rencontré un chien d‘assistance dans un salon professionnel, Stéphane Marcotte a dit qu‘un simple coup de langue de ce chien fut l‘équivalent de trois ans de thérapie. Le voici avec Sarge, son chien d‘assistance depuis 7 ans et demi. Photo : John Penner Photography
Un processus rigoureux
Les organisations partenaires de Wounded Warriors Canada fournissent des chiens aux personnes souffrant de stress opérationnel (lié au travail) ayant entraîné un stress post-traumatique. Ces personnes ne sont pas toutes aptes à recevoir un chien d‘assistance, mais celles qui le sont en obtiennent un, explique Mike Annan, directeur général de Vancouver Island Compassion Dogs, une division de B.C. Guide Dogs.
« Le programme est guidé par nos instructeurs professionnels et notre directeur de la santé mentale, ainsi que par les bénéficiaires, leur famille et les fournisseurs de soins. Les chiens passent leurs 14 à 16 premiers mois en dressage et vivent avec des éleveurs de chiots bénévoles. Pour obtenir leur « diplôme » du programme de chiots, ils passent par une série de listes de vérification de comportement et un dressage sur les lieux publics.
« À ce stade, ils entrent à “l‘université des chiens d‘assistance” », explique M. Annan. « Ces chiens doivent pouvoir bien travailler dans un espace public, dans les centres commerciaux, les escaliers roulants et les transports en commun.
Les chiens et leurs maîtres nouent des relations surprenantes. Par exemple, Stéphane Marcotte est diabétique et Sarge l‘avertit lorsque son taux de glycémie est bas. Les chiens sont également dressés pour attirer l‘attention sur les comportements de leurs maîtres liés au stress ou à l‘anxiété. « Les grandes respirations profondes, avoir la tête entre les mains, les rythmes cardiaques accélérés… Nous leur apprenons à être attentifs à tout cela », explique M. Annan. « Ils poseront leur menton sur votre jambe si vous la secouez; c‘est ce que nous appelons une “alerte à l‘agitation”. »
L‘une des tâches les plus importantes des chiens est de réveiller les personnes souffrant de TSPT lorsqu‘elles font des cauchemars.
Les bénévoles comme Renate Sutherland sont essentiels, affirme M. Annan.
« Il faut un village pour gérer ceprogramme. »
Lorsqu‘il a rencontré un chien d‘assistance dans un salon professionnel, Stéphane Marcotte a dit qu‘un simple coup de langue de ce chien fut l‘équivalent de trois ans de thérapie. Le voici avec Sarge, son chien d‘assistance depuis 7 ans et demi. Photo : John Penner Photography Le respect des mêmes normes
Les programmes partenaires de Wounded Warriors Canada (WWC) fonctionnent tous avec de légères variations, mais ils sont tous certifiés selon des normes nationales que l‘organisation a contribué à établir.
« Nous avons établi des critères de base », explique Phil Ralph, directeur des services de santé chez WWC. « Nous avons exigé qu‘ils soient collégiaux et complémentaires et qu‘ils travaillent les uns avec les autres, ce qui s‘est avéré extraordinaire. Au lieu de réinventer la roue, tout le monde apprend les pratiques exemplaires les uns des autres. »
WWC subventionne des services de chiens d‘assistance à hauteur de près d‘un million de dollars par an.
« Nous avons mis nos ressources en matière de santé mentale à la disposition des dresseurs de chiens et ils nous ont fait profiter de leur expertise en matière de chiens », ajoute M. Ralph. « Nous nous sommes engagés à organiser une conférence interne pour apprendre les pratiques exemplaires deux fois par an. »
Les acheteurs doivent se méfier des organismes non certifiés. Et les enjeux sont de taille, car les chiens d‘assistance coûtent plusieurs milliers de dollars. Wounded Warriors Canada finance les programmes de ses partenaires, afin que les personnes souffrant d‘un TSPT obtiennent leur chien gratuitement.
Programmes certifiés au Canada
L‘organisme québécois Les Chiens Togo s‘est associé à Wounded Warriors en 2017. Ses chiens accompagnent les personnes souffrant de TSPT ou les premiers intervenants, pour prévenir l‘apparition du TSPT. Togo reçoit environ 200 courriels par semaine de personnes à la recherche de chiens. Toutefois, en raison de la disponibilité des chiens et des ressources nécessaires pour les dresser, Togo n‘effectue qu‘entre cinq et douze jumelages par an. Évidemment, les personnes qui envoient des courriels ne sont pas toutes admissibles, et un nombre encore moindre d‘entre elles sont aptes à recevoir un chien-guide.
À l‘heure actuelle, la liste d‘attente de Togo compte 40 noms approuvés. L‘organisme obtient ses chiens d‘un réseau de 35 refuges à l‘échelle du Québec.
« Nous avons formé des bénévoles qui évaluent les chiens pour nous dans ces refuges », explique Noémie Labbé Roy, fondatrice de Togo. « Moins d‘un pour cent de tous les chiens que nous évaluons se qualifient. »
Mme Labbé Roy espère obtenir des chiots de B.C. Guide Dog, dans le cadre de leur partenariat. Elle est également à la recherche de bénévoles pour élever des chiots partout au Québec, si jamais Togo obtenait des chiens plus facilement. Tous deux vétérans, Mike et Kim Gingelle s‘impliquent dans Paws Fur Thought, en Nouvelle-Écosse. Ils ont commencé à s‘intéresser à ce secteur lorsque Kim est revenue « anéantie »
d‘une mission en Sierra Leone. Son chien d‘assistance lui a sauvé la vie et, pour se l‘offrir il y a huit ans de cela, Mike et elle ont repris l‘organisme fondé en 2013 par un autre vétéran qui souffrait d‘un TSPT et qui croulait sous le travail.
Les Gingelle se procurent leurs chiens auprès de l‘organisme américain Canine Assistance Rehabilitation and Education Services (CARES), fondé il y a 30 ans à Concordia, dans l‘État du Kansas. Les chiens sont dressés en partie par des prisonniers qui jouent le rôle de « parents d‘accueil », une situation gagnant-gagnant pour CARES et les prisonniers. Tous les ans, Paws Fur Thought jumelle une douzaine de personnes souffrant de TSPT avec des chiens. Si les chiens sont entièrement dressés, l‘équipe des Gingelle se charge ensuite de former les bénéficiaires, une tâche parfois plus difficile que le dressage des chiens, s‘esclaffe Mike.
À Barrie, en Ontario, la propriétaire de K-9 Country Inn, Laura A. Mackenzie, propose deux programmes. Le premier consiste en un dressage intensif du chien par le bénéficiaire dès l‘âge de huit semaines avec l‘aide de dresseurs professionnels, pendant deux ans. Le second concerne des chiens plus âgés, qu‘on commence à dresser à l‘âge de six mois. K-9 Country Inn se procure ses chiens — des golden retrievers, des labradors et, parfois, des labradoodles — auprès d‘un réseau d‘éleveurs répartis dans tout l‘Ontario.
Richard Moreau entraîne son chien Timo à distance, avec l‘aide de K-9 Country Inn, un organisme de Barrie, situé en Ontario. Photo : Mike Carroccetto
Un soldat en voie de guérison
Richard Moreau, un retraité des Forces armées canadiennes qui sert maintenant dans les réserves, était en vacances à la Nouvelle-Orléans lorsqu‘il a dû cesser d‘ignorer son TSPT. Se promenant sur la rue Bourbon, il s‘est soudainement retrouvé à Mogadiscio, en Somalie, où il avait servi 30 ans auparavant.
« Les endroits bondés me perturbent. J‘ai été ramené 30 ans en arrière et j‘en ai été physiquement malade. Je paniquais. J‘avais une crampe à l‘estomac. »
Lorsqu‘un ami depuis 40 ans lui a dit qu‘il devrait chercher à savoir s‘il souffrait d‘un TSPT, il a demandé conseil à Anciens Combattants Canada, et a été dirigé vers un psychiatre. Aujourd‘hui, il dresse son berger allemand Timo, acquis auprès d‘un éleveur près de chez lui à Rockland en Ontario, à distance avec K-9 Country Inn.
Il qualifie sa relation avec Timo, qui l‘aide déjà, de « parcours ». Parce qu‘il ne voulait pas attendre de passer par les voies officielles avec Wounded Warriors et qu‘il dresse le chien lui-même avec de l‘aide virtuelle, M. Moreau paie tout de sa poche.
« Je voulais prendre les devants. J‘ai perdu des amis qui se sont suicidés. »